Il faut le reconnaître, Mathieu Bellahsen est opiniâtre.
À peine reçu au concours de praticien hospitalier, ce jeune psychiatre nous avait livré sa feuille de route.
« Aujourd’hui, dans les services de psychiatrie, il est de plus en plus fréquent d’attacher des patients sur leur lit en chambre d’isolement […] d’augmenter ad nauseam les doses de psychotropes[…]de laisser les patients errer dans les unités d’hospitalisation sans que de réels soins leur soient prodigués[…] Comment comprendre le retour de ces pratiques qui… mériteraient le qualificatif de « barbares » ?
Que ce soit à l’hôpital et/ou en ambulatoire, la psychothérapie institutionnelle est une méthode de choix pour soigner et guérir les patients présentant des pathologies complexes qui ne peuvent se limiter à des approches exclusivement individuelles. Un collectif de soignants rigoureux et engagés est alors nécessaire pour rassembler tout ce qui se joue dans les relations intersubjectives[…]
Tâche bien ardue pour ne pas rentrer dans le débat d’experts tout en ne sombrant pas dans un simplisme réducteur. » (Bellahsen, sur le site Collectif des 39 en février 2012)
Il n’en dérogera pas et nous offre, onze années plus tard, son dernier opus, Abolir la contention. C’est un essai nourri par sa pratique, par une étude approfondie de la littérature scientifique et par le récit d’expériences. Sa conclusion est sans appel. L’usage d’entraves en psychiatrie n’est pas un soin, mais une pratique de contrôle, une pratique qui devrait être bannie au regard de ce qu’elle provoque d’humiliation et de souffrance. Une pratique devenue d’autant plus obsolète que les enseignements et l’expérience de la psychothérapie institutionnelle la rendent inutile.
Il nous invite au voyage dans un univers concret où entraves et contention sont tombées en désuétude. Dans une langue simple, fluide, illustrée d’exemples cliniques, de récits d’usagers et d’histoires de dynamiques de soin à travers la planète ou dans nos institutions, il décrit de façon tout à fait compréhensible comment les apports théoriques nous permettraient aujourd’hui de nous passer de ces pratiques barbares. J’use du conditionnel, malheureusement, car le sort politique fait au dispositif de soin en psychiatrie et à ses pratiques émancipatrices nous éloigne de cette issue désirable.
La commande sécuritaire, inaugurée en décembre par le discours de Nicolas Sarkozy à Antony en 2008, inscrite dans le réel législatif par la loi du 5 juillet 2011, fait rage. Elle rouvre la fracture que la psychothérapie institutionnelle avait contribué à réduire. Elle aliène toute une population pour le simple fait de sa souffrance psychique, elle altère la relation de soin. Elle rend aveugle, dans une nuit sécuritaire, à toutes les pratiques qui la contredisent. Jusqu’au mode de financement qui coupe les crédits aujourd’hui aux lieux qui n’usent pas de contention. « Depuis vingt ans, les seules victoires réelles pour l’émancipation dans le champ psychiatrique sont le fait des premières personnes concernées, (les associations de patients) dans le champ du droit. »
Dans son livre, Mathieu Bellahsen ne se contente pas de juxtaposer des constats, il s’insurge et ouvre des pistes de solutions. Rien que cela en fait un ouvrage à part. Il ose asséner qu’une autre voie est possible, en fait la démonstration et offre des exemples. Après cette lecture, plus d’excuses pour continuer à perpétrer les exactions qui entravent la liberté et aliènent les sujets.
Et pourquoi pas, comme il le propose, graver dans le marbre des institutions internationales et nationales : la contention mécanique n’est pas thérapeutique. La portée symbolique et imaginaire en serait importante tant pour les personnes soignées que pour les professionnels et les citoyens qui luttent contre elle.
Cet essai devrait être au programme de tous les instituts de formation sanitaires et sociaux, une lecture nécessaire des études médicales. Pour faire comprendre que la culture du soin ne peut progresser qu’avec et par les personnes soignées. Pour faire entendre que l’imagination vaut mieux que la contention.
Pour conclure, j’invoquerais François Tosquelles qui disait : « Sans la reconnaissance de la valeur humaine de la folie, c’est l’homme même qui disparaît. » et Lucien Bonnafé : « On juge une société à la façon dont elle traite ses fous. ».
Jean Vignes
La santé mentale : vers un bonheur sous contrôle, La fabrique 2014
La révolte de la psychiatrie. Les ripostes à la catastrophe gestionnaire, La découverte 2020
https://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=3223 Faut-il interdire les suppléments d’âme