Éloi Valat
Dessinateur
La chambre est petite, numéro 44, résidence P…, entre le lit et la fenêtre, toujours ouverte, le jour, la nuit, l’été, l’hiver, un fauteuil articulé, le dossier rehaussé de coussins immuablement disposés, une penderie pour les robes, lavées par nous, ses enfants, à la main et à l’eau froide, étendues sans essorage, les petits verres pour les doigts de Porto, le tiroir à biscuits, l’écran de télévision, grand pour soulager des yeux maculés, un galet gris qui répond au nom de : « OK, Google », suivi de « Mets-moi France Inter… », puis de « Tais-toi ! », le chevalet déambulatoire qu’elle cahotera du fauteuil aux toilettes, le fauteuil roulant pour « descendre dîner, souper et beloter », un trou de vie fragile aux talus étayés de roboratifs souvenirs.
Elle a la mémoire Juke box, le bras mécanique va chercher le disque, le pose et sur la platine, voilà une histoire, soudain le disque est retiré pour un autre, les personnages naissent et meurent : « La guerre, le maquis, les Allemands pendront le jeune B. à une arche du viaduc du chemin de fer, on nous fit défiler sous le pendu, dans la débâcle allemande, ce jeune soldat pris et épargné, rhabillé de vêtements civils, quand Monsieur Émile explique qu’il n’est pas Allemand, mais Polonais, Monsieur Émile, rhabilleur horloger à Paris vers Belleville, victime de l’aryanisation, réfugié et caché là, Monsieur Émile né à Kiev… » Et ainsi de suite, d’une histoire à l’autre : « La guerre, le maquis… », loin des fossoyeurs.