Lu : Noirs en blanc

L’auteur, médecin et écrivain, a également écrit des romans, des nouvelles et des essais : La vie devant nous (Seuil), Tempête sur l’hôpital (Seuil) 2002, Pitié pour les hommes (Stock) 2009.

Proposé par Anne Perraut Soliveres 

Noirs en blanc est une fiction, qui retrace littérairement un problème à plusieurs facettes dont on évite en général de parler. Il expose remarquablement une situation qu’on évoque, soit en termes statistiques, pour souligner le manque récurrent de médecins formés en France par rapport aux besoins créés, soit pour regretter le niveau de qualification, parfois très différent, de ces médecins « étrangers », selon le pays où ils ont effectué leur formation. Denis Labayle connaît bien ces médecins, rencontrés au fil de sa carrière hospitalière, et pose conjointement le problème du sort qui leur est fait en France (mais pas seulement) et la question de l’appropriation des « cerveaux » des pays pauvres par les pays riches, alors que ces régions du monde sont en manque crucial de médecins compétents. La lecture de cette épopée de Zola, un des quatre jeunes Africains ballotés au gré des politiques de leurs pays respectifs, nous emmène loin des clichés qui subsistent, en particulier, dans les hôpitaux. Cette maind’œuvre bienvenue, moins payée, taillable et corvéable à merci (les gardes sont un des éléments variable de leurs revenus) y est paradoxalement souvent dénigrée du fait des difficultés plus nombreuses que ces médecins doivent affronter, subtilités de la langue, différences culturelles et racisme latent, qui ajoutent aux différences de niveaux de formation.
Zola Méké, jeune africain à la scolarité brillante, est séparé de sa famille dès l’adolescence pour poursuivre ses études, d’abord à Cuba, puis en Russie et enfin en France. Cette séparation de son milieu, seule perspective d’ascension sociale dans un pays où on manque de tout, est très mal supportée par Zola qui va rencontrer les plus vives difficultés d’adaptation à Cuba, où il est confronté à l’injustice et à la rigueur d’une scolarité, pourtant sans problème. Ce livre met en scène plusieurs rencontres déterminantes dans sa vie. Quelques camarades d’infortune, des amours contrariées par les décisions arbitraires de choix d’universités, celle d’un « idéaliste » français, lui-même en décalage avec la culture totalitaire, vont aider le jeune Zola à tenir malgré tout.
On le voit ensuite en Russie où les rigueurs du climat (Zola est Africain...) s’ajoutent aux rigueurs d’un régime peu enclin à laisser s’exprimer la liberté de penser, dont on n’a guère de mal à imaginer combien elle peut être stimulée chez un étranger dont les coutumes sont aussi éloignées. Ce sont ces conditions qui vont présider à la formation professionnelle de Zola.
Outre les difficultés de circulation entre ces différents pays où l’obtention d’un visa n’est pas une mince affaire, on mesure le challenge qui est imposé à ces soignants « étrangers », ce qui rend d’autant plus injuste le sort qui leur est généralement fait.
Alors, pourquoi ne se précipitent-ils pas tous pour retourner « chez eux », si toutefois ce terme a encore du sens après de tels parcours ? Parce que ces aventures les ont souvent profondément changés. Lorsqu’ils ont trouvé un lieu où ils peuvent enfin exercer sereinement une vie professionnelle épanouie et accéder à la technologie de pointe (la formation dans les spécialités hospitalières les prépare à une médecine spécialisée), ils ne sont guère enclins à affronter de nouveau l’arbitraire et la précarité qui règnent dans leurs pays d’origine où la démocratie tarde à advenir et où la pauvreté les contraindrait à travailler avec bien peu de moyens. Parce qu’ils ont aussi souvent perdu leurs illusions, qu’ils sont fatigués d’affronter certaines difficultés, qu’ils ne se sentent plus tout à fait Africains et ne sont pas pour autant devenus autres. J’ai pris un grand plaisir à lire ce livre haletant, émaillé d’intrigues amoureuses, politiques et policières, mais j’ai surtout profondément regretté mes propres agacements devant certaines attitudes médicales, plus fréquentes chez les « étrangers » (difficulté à reconnaître leurs limites, amour propre exacerbé, sexisme), dont je ne pouvais mesurer l’origine.
Denis Labayle nous offre là une occasion de réviser nos jugements, mais aussi et surtout nos politiques d’accueil intéressé de ces étudiants étrangers. Une occasion de reconnaître les différences ?

Denis Labayle, Noirs en blanc, édition Dialogues, janvier 2012


Pratiques N°57, mai 2012

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