Didier Ménard
Médecin généraliste
Si les ordonnances portant réforme du Code du travail sont votées, il faut s’attendre à voir arriver à nos consultations de plus en plus de personnes en souffrance psychique ou physique.
Depuis des années, la demande d’anxiolytiques augmente pour, comme disent les patients, « tenir face aux conditions de travail de plus en plus insupportables ». La lutte contre le chômage sert de prétexte pour détruire le peu de protection qui reste contre la souffrance au travail.
Or, l’Insee montre que les obstacles à l’embauche relèvent massivement non pas du Code du travail, mais bien d’une situation économique beaucoup plus globale. Dans ce contexte, le Code du travail a d’abord pour fonction de protéger les salariés contre l’exploitation, mais il protège aussi contre bon nombre de pathologies liées à l’impératif de « flexibilité ». Cette théorie de la flexibilité-sécurité s’exprime dans la plainte de l’épuisement au travail pour atteindre les objectifs fixés par l’employeur. Elle se traduit par l’angoisse face à la concurrence de tous contre tous pour obéir aux règles du « management ». Elle s’entend dans les sanglots de celles et ceux qui craquent face à l’humiliation subie pour ne pas avoir respecté la « dynamique d’équipe », c’est-à-dire la performance voulue par l’employeur.
Ces ordonnances prévoient également de fusionner dans une structure unique les délégués du personnel, les comités d’entreprise et les Comités d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail. Or, ces trois instances ont des fonctions très différentes et les CHSCT sont plus que jamais indispensables pour la surveillance, par les employés, des conditions objectives et subjectives de travail dans l’entreprise, et demandent une formation de plus en plus fine pour être efficaces. Après la casse de la médecine du travail, que restera-t-il comme protection contre les expositions aux produits dangereux ? Qui pourra alerter contre la dépression professionnelle ? Combien faudra-t-il de suicides pour que l’employeur revoie son management ?
En niant la valeur travail pour la réduire à celle d’emploi, l’économie libérale ne se contente pas de sacrifier les droits acquis sur l’autel du profit, elle déshumanise le travail et détruit l’estime de soi de ceux qui l’exécutent. Cette déshumanisation, si elle prétend augmenter – de façon hypothétique – la « rentabilité » de l’entreprise (identifiée aux bénéfices de ses actionnaires), fabrique à coup sûr, de façon parfaitement programmée, de la souffrance. Il est juste alors que les soignants, au nom de la plus élémentaire politique de prévention, exigent le retrait de ce qui se profile dans ces ordonnances absurdes de réforme du Code du travail.
Sera-t-il encore possible que des patients nous disent leur satisfaction de faire un bon métier, de se réaliser dans leur activité ? Que nous puissions noter sur nos dossiers « va bien, trouve du sens à son travail » ?