Marie Kayser,
Médecin généraliste
Monsieur le Directeur de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie,
La présentation du paiement à la performance [1] dans la nouvelle convention médicale est habile : « compléter la rémunération pour valoriser la qualité des pratiques et l’efficience ». Quel médecin pourrait se dire contre une amélioration de sa pratique et quel patient ne souhaiterait pas avoir un médecin « plus compétent » ? Mais plusieurs questions se posent.
Les critères retenus vont-ils entraîner une amélioration des pratiques médicales ?
Certains d’entre eux sont discutables (vaccination anti grippale, mammographies...) Certes, il est toujours possible d’essayer de les faire évoluer vers d’autres plus pertinents, mais l’organisme payeur peut aussi les faire évoluer en y intégrant des éléments plus comptables : transports, indemnités journalières... qui sont déjà des objectifs collectifs dit de « maîtrise médicalisée » pour l’ensemble de la profession médicale.
Dans les pays, tels l’Angleterre, où ces primes existent, « il semble que les résultats en termes d’amélioration des pratiques soient modestes » [2] et en lien avec le mode d’organisation : utilisation de la « prime au frottis » pour payer des auxiliaires de santé qui contactent les femmes ne venant pas spontanément... En France, même si des modes de travail plus collectifs et pluridisciplinaires se mettent en place, on n’en est pas là.
Que va-t-il se passer entre le médecin et son patient ?
Cette prime risque d’empoisonner l’acte de soigner par un conflit d’intérêts entre un malade qui n’obéirait pas aux critères requis et un médecin qui voudrait atteindre les objectifs imposés par l’organisme payeur. Le risque étant la sélection des patients et le rejet de ceux qui ne sont pas « observants ». Certes, on peut objecter que nous continuerons de proposer ce qui nous semblera médicalement intéressant et de respecter les choix du patient, mais c’est penser que nous ne sommes pas influençables... et si tel était le cas, cela ôterait toute pertinence à l’hypothèse de l’influence de cette prime sur les pratiques...
Quelles répercussions sur notre qualité de vie de médecin généraliste ?
Sommes-nous si différents de nos patients dont nous constatons la souffrance morale en lien avec l’individualisation des tâches, les méthodes d’évaluation basées sur des critères de performance et la casse des collectifs de travail ? Certes, étant payés à l’acte, nous sommes déjà payés au rendement et nous en voyons assez souvent les dégâts au sein des cabinets de groupe. Comment cela va-t-il se passer demain quand des médecins aux pratiques similaires auront des primes différentes en fonction de critères qu’il sera bien long et difficile de comprendre ???
Derrière tous ces risques, il y a celui, majeur, d’une évolution vers des contractualisations individuelles entre médecins et complémentaires santé avec démantèlement du système solidaire de l’Assurance maladie.
Pour toutes ces raisons, Monsieur le Directeur, je rejoins celles et ceux qui boycottent cette prime à la performance [3] et qui se mobilisent pour la construction d’un système de santé accessible à tous les citoyens sans discrimination, pour une approche globale des patients intégrant la complexité des situations de vie, pour un travail en pluridisciplinarité et en réseau, pour avoir les outils et le temps rémunéré pour des actions de santé publique, pour une formation médicale indépendante adaptée aux besoins de santé de la population et basée sur l’évaluation collective des pratiques, pour pouvoir choisir d’autres modes de rémunération : salariat, forfaits, capitation...