Silvia Federici
Philosophe, écrivaine, professeure d’université
Mathilde Boursier
Médecin généraliste
Les membres de la revue Z la définissent comme une revue itinérante d’enquête et de critique sociale. Chaque numéro est donc construit autour d’un lieu et d’un thème qui s’entrecroisent. Pour le numéro 10, ont été choisies Marseille et les questions de féminismes : « Bonnes femmes, mauvais genre ». Dans le chapitre « A corps défendant », elles et ils ouvrent leurs colonnes à une analyse que Sylvia Federici porte sur les enjeux sociopolitiques de la gestation pour autrui (GPA).
Contrairement aux opposant•e•s à la GPA les plus médiatisé•e•s (qui appartiennent souvent à des mouvements réactionnaires comme ceux des anti-choix ou de la « Manif pour tous »), l’auteure de cet article ne propose pas de lire ce phénomène sous l’angle de la morale, mais sous celui de la lutte des classes. Dans ses travaux précédents, elle montrait déjà comment le capitalisme asservit les femmes, et en particulier leurs corps, pour les transformer « en machine à produire de la force de travail » [1]. La gestation pour autrui ne serait donc qu’une étape de plus dans la marchandisation du travail domestique, du travail reproductif, où la transaction se dissimule derrière le « don de vie ».
L’auteure décortique ainsi le concept de « maternité de substitution » rendu possible techniquement, pour mettre en lumière le concept bourgeois de propriété qu’il cache. Cabinets d’avocat•e•s, assurances, cliniques et autres agences font tourner la caisse enregistreuse à plein régime, tout en occultant les possibles conséquences néfastes tant sur les enfants à naître que pour les « mères de substitution » et leurs familles. Des « baby farms » asiatiques [2] aux tribunaux occidentaux, les « parents d’intention », en tant que « propriétaires de l’œuf implanté », deviennent « propriétaires de l’enfant à naître ». Où est le don lorsqu’il y a « contrat » ? Lequel tend à revêtir un caractère sacré devant la justice de nos sociétés néolibérales qui, en cas de litige, interprète « l’intérêt supérieur de l’enfant » sous des préjugés racistes et de classes, la conduisant le plus souvent à assigner l’enfant à des couples blancs et aisés.
Grâce à ce glissement du droit DE l’enfant au droit À l’enfant, le capitalisme produit une nouvelle fois des êtres humains qui peuvent être achetés et vendus comme toute marchandise. De plus, séparer les aspects « gestationnels, sociaux et politiques de la maternité » contribue à renforcer la domination patriarcale sur le corps des femmes, transformant celui-ci en « réceptacle passif », dépossédé de tout pouvoir reproductif.
Alors que l’opinion publique serait aujourd’hui prête à accepter l’idée que des femmes soient « recrutées afin de produire des enfants pour des couples aisés », Silvia Federici nous invite à sortir de l’opposition morale condamnation/célébration pour entrer dans l’analyse des conditions produisant cette situation.