Muriel Fabre-Magnan
Professeure de droit
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- Dans son livre La gestation pour autrui, fictions et réalité, Muriel Fabre-Magnan professeure de droit à l’Université Paris 1, explique, en partant de la façon dont la GPA est pratiquée depuis plusieurs années dans des pays étrangers, en particulier aux États-Unis, les conséquences qu’aurait la légalisation de cette pratique.
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Elle montre l’étendue de l’emprise consentie par la mère porteuse sur son corps et sa vie intime (droit d’accès à toutes ses données personnelles, droit de lui imposer un mode de vie, une alimentation, obligation de se soumettre à des contraintes médicales, etc.), et les droits et libertés fondamentales auxquels elle renonce au profit du couple commanditaire (droit au respect de sa vie privée, droit d’aller et de venir, liberté d’avorter, ou même encore liberté d’avoir des relations intimes certaines périodes).
Il apparaît alors qu’aucune réglementation ne permettrait de rendre cette pratique « éthique », dans la mesure où c’est par son objet même que la gestation pour autrui entraîne une instrumentalisation des mères porteuses et une réification des enfants. À partir du moment où on accepte qu’il y ait commande, fabrication, et remise d’un enfant à autrui, de nouveaux types de litiges apparaîtront nécessairement. Le tableau donne aujourd’hui à voir des cas douloureux de couples désirant ardemment des enfants et ne pouvant en avoir. La légalisation de la maternité pour autrui donnerait à voir des batailles autour de l’enfant fabriqué.
Il y aurait ainsi des cas où les deux parties voudraient garder l’enfant. Si la mère d’intention est directement considérée comme la mère légale, il faudra contraindre la mère porteuse à se séparer de son enfant si elle souhaite le garder, et donc accepter que son bébé lui soit retiré le cas échéant par la force. Mais si à l’inverse la mère porteuse se voit reconnaître, pendant un certain délai, le droit de garder l’enfant si elle le souhaite, le couple commanditaire risquera de se heurter à des chantages de sa part (le cas s’est produit aux Etats-Unis) pour obtenir un peu plus d’argent ou d’avantages au motif qu’elle aurait plus de mal que prévu à se séparer de l’enfant.
La situation n’est pas plus enviable dans le cas contraire où personne ne voudrait plus de l’enfant mis au monde, par exemple parce qu’il est handicapé. Faudra-t-il obliger les parents d’intention à prendre l’enfant avec eux ? Mais on ne pourra pas les forcer à le garder, et ils pourront à leur tour l’abandonner aux services sociaux, alors même qu’ils l’auront fait fabriquer pour eux. Faudra-t-il alors prévoir des « centres » pour tous ces enfants dont personne ne voudra plus ?
Comment encore réglementer éthiquement la question de l’avortement ? Aux Etats-Unis, les contrats stipulent le plus souvent que c’est aux parents d’intention de décider. Mais est-ce éthique de forcer une femme – la mère porteuse – à avorter ? En France, ce serait même contraire à la liberté de l’avortement, qui est la liberté d’avorter ou de ne pas avorter. Si la règle est inverse, on peut cette fois-ci imaginer la détresse du couple commanditaire qui aura espéré avoir enfin un enfant, lequel sera même l’enfant biologique de l’un d’entre eux, et dont la mère porteuse pourra décider à sa guise d’interrompre le développement.
On le voit : il ne s’agit pas de stigmatiser les protagonistes ni de porter un jugement moral sur eux, car il y aura toute la gradation des caractères et des comportements chez les mères porteuses comme chez les couples commanditaires, ou encore chez les intermédiaires. Il s’agit d’essayer de donner à voir les situations créées de toutes pièces et les impasses auxquelles elles conduisent.
Le livre introduit enfin la notion de « prolétariat reproductif ». Le proletarius était, à Rome, le citoyen de la classe la plus pauvre et la plus basse, celui qui n’avait pour seule richesse que ses enfants (proles). L’exploitation va aujourd’hui plus loin puisque les mères porteuses n’auront plus comme seule richesse que leur capacité de mettre au monde des enfants, mais cette fois-ci non plus pour leur propre profit, mais au profit d’autrui. Le livre montre qu’il y a une grande hypocrisie à parler de gratuité lorsque la mère porteuse touche une somme qui, en réalité, correspond pour elle à plusieurs années de salaires.
Établi à partir de cas très concrets, le tableau ainsi dessiné permet à chacun de regarder la réalité en face et de se faire sa propre opinion. L’auteur conclut alors qu’« on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas ».
Muriel Fabre-Magnan, La gestation pour autrui. Fictions et réalités, Fayard, 2013