Le grand méchant cholestérol

Avant je disais « Le cholestérol et les graisses saturées sont mauvais ». Puis les analyses critiques faites par des professionnels courageux m’ont apporté de nouvelles données. Alors ouvrons la discussion.

Sylvain Duval
Administrateur ADNC www.adnc.asso

Confusion sur le cholestérol
Quand on parle de cholestérol, il y a une source de confusion majeure. Certains parlent du cholestérol alimentaire (ChA) et d’autres du cholestérol sanguin (ChS). Clarifions cela : toutes les études montrent que la consommation de ChA n’est pas (ou très peu) reliée au ChS. Nous sommes des animaux dont le foie peut sécréter plus ou moins de bile et qui sait gérer les excès de cholestérol. Pour être précis, seule une petite partie de la population semblerait réagir à un excès de ChA. On les appellerait alors « répondeurs ».
La majeure partie de notre cholestérol est fabriquée par nos cellules (entre 60 à 80 % selon les sources et sûrement selon les régimes alimentaires). Pour faire simple : une personne qui ne mange pas du tout de cholestérol le fabrique à 100 %. Voilà pourquoi le ChA ne peut pas tellement influencer notre niveau de ChS. On dit que la sécrétion du ChS est régulée.

Le cholestérol est une molécule indispensable
Indispensable car il sert à différents niveaux : membranaire, hormonal, musculaire et neuronal. Le métabolisme du cholestérol est à la base de la fabrication de nombreuses autres molécules : dolichol (glycosylation), ubiquinone (co-enzyme Q10 de la chaîne respiratoire mitochondriale) et farnésyl (maturation des protéines).

Il n’y a pas de « mauvais » cholestérol
Dire qu’il y a un « mauvais » cholestérol est un abus de langage grossier. Il n’existe qu’une seule molécule de cholestérol. Et ce n’est pas un point anecdotique, à balayer en disant « Là il joue sur les mots ». Ceux qui jouent sur les mots, et sur la peur, sont vendeurs de médicaments ou de margarines.
Un autre point à éclaircir : nous n’avons pas de cholestérol flottant librement dans le sang. Il est transporté, avec les graisses (triglycérides et phospholipides), par des protéines (dont le LDL et le HDL). Les LDL sont les livreurs de cholestérol aux cellules qui en ont besoin. Les HDL sont les recycleurs, qui ramènent le cholestérol en trop vers le foie, pour être éliminé par la bile. Les deux types de protéines sont indispensables au fonctionnement du corps. Seul l’esprit humain les classe en « gentil » et « méchant », selon la théorie lipidique, discutable.
Et la publicité qui parle tous les jours d’un « mauvais » cholestérol ne peut qu’induire le public en erreur et finir par banaliser un abus de langage voulu par les fabricants de margarines aux phytostérols et de médicaments anti-cholestérol.

Le cholestérol ne bouche pas les artères
La plaque d’athérome est constituée d’une partie rigide (fibres de collagène, calcium, cellules musculaires lisses) qui représente 70 % du volume de la plaque. La partie lipidique (environ 30 %), fragile et instable, contient des leucocytes (macrophages et lymphocytes T), des cellules musculaires lisses et des cristaux de cholestérol oxydé.
Au final, le cholestérol n’occupe que 10 % de la plaque. Il est donc faux de dire qu’il bouche les artères. De plus, le cholestérol n’est pas à l’origine de la formation d’un thrombus (caillot obstructif). L’endothélium étant imperméable aux lipoprotéines, il y a seulement des hypothèses (dysfonction endothéliale, infiltration lipidique), reposant sur des théories, sans mécanisme bien démontré, qui accusent le LDL (ou LDL oxydé, pour la version récente).

L’histoire de la phobie du cholestérol, puis des graisses animales
À la crainte médiatisée du gras et du cholestérol, on peut proposer un point d’origine. L’homme qui a changé le monde se nomme Ancel Keys. Dans les années 1950, il a une idée préconçue : le cholestérol est l’ennemi. Mais face aux faits expérimentaux, il change d’avis. Son nouvel ennemi sera le gras. Pour prouver son idée, il mène une observation scientifique à travers le monde : sa célèbre étude des 7 Pays [1].

L’étude des 7 pays est une mauvaise étude
Cette étude comporte un biais majeur. Choisir uniquement les cas qui arrangent l’hypothèse est une erreur de méthodologie si grave que je ne comprends pas que cette étude soit aussi souvent citée. et rarement critiquée, sauf par le THINCS (le Réseau international des Cholesterol-Sceptiques). Selon moi, cela montre à quel point les « experts » du cholestérol sont aveugles à la méthodologie scientifique, tellement ils sont obnubilés par leur dogme. Avoir des idées préconçues est compréhensible, même en science. C’est pour cela que la science expérimentale s’est dotée de procédures, d’une méthodologie, de protocoles qui permettent d’éviter que les a priori ne déforment les résultats et leur interprétation.
L’étude des 7 Pays reste une étude d’observation, avec de nombreux facteurs de confusion. Comparer des bûcherons finlandais et des pêcheurs japonais est une gymnastique intellectuelle incroyable ! Ont-ils le même climat, la même société, le même niveau de stress, les mêmes gènes, la même consommation d’alcool, de légumes ou de fruits ? Évidemment non. Et déduire que c’est le gras saturé (parmi des centaines de facteurs) qui est le coupable nécessite un niveau de croyance formidable. Il fallait vraiment avoir une foi solide en une idée préconçue pour arriver à une telle conclusion.

Association et causalité
Dès 1662, les bases de l’épidémiologie ont été jetées par un marchand qui analysa les registres de mortalité de Londres. Ce dénommé John Graunt avait déjà réalisé le danger qu’il y a à confondre une association statistique avec une relation de causalité. Cette distinction essentielle à la compréhension des études d’observation. Les études épidémiologiques ont une valeur hypothétique indispensable. Mais parfois je frémis quand je lis que « les facteurs de confusion ont été contrôlés dans notre étude ». En effet, comment contrôler des facteurs qu’on ne connaît pas ?
Le cholestérol est un facteur de risque cardiovasculaire, associé statistiquement (dans certaines études, citées par les labos, mais pas dans toutes) à un risque plus élevé. Mais ce n’est pas valable dans toutes les populations, à tous les âges. De plus, il ne faut pas se focaliser que sur le risque cardiovasculaire. La prévalence de cancer, de neuropathies ou du déclin cognitif doit aussi être prise en compte.

La nutrition est une science difficile
C’est un autre point majeur à clarifier. Il est très difficile de faire de bonnes études dans le domaine de la nutrition. Pourquoi ? Parce que si vous supprimez une composante du régime (du gras, par exemple), alors vous devez augmenter autre chose (les sucres ou glucides) ou alors vous diminuez les calories ingérées, ce qui introduit un changement. Plusieurs études rigoureuses ont montré que si on substitue des Acides Gras Poly-Insaturés (AGPI) par des AG Saturés (AGS), on augmente le niveau de ChS. Mais cela ne présage rien des maladies cardiovasculaires, des cancers ou de la mortalité totale.

Les acides gras saturés (AGS) sont-ils nocifs ?
Pour déclarer que les AGS sont nocifs, il faut aller plus loin que dire « ils augmentent le cholestérol ». Augmenter la cholestérolémie est un critère biologique, pas un critère clinique. Or, beaucoup d’études ont indiqué que les AGS sont dangereux uniquement sur la mention qu’ils augmentent le ChS. Ce qui intéresse le patient, c’est de savoir s’il vivra mieux, plus longtemps ou en meilleure santé. Et je pense que le patient est peu sensible à sa façon de mourir : attaque cardiaque ou cancer, AVC ou démence, je doute que quiconque veuille faire ce choix. Le seul critère intéressant doit être la durée de vie, donc la Mortalité Toutes Causes (MTC).

Des études n’utilisent pas des critères cliniques pertinents
Or, de nombreuses études actuelles ont oublié ce simple bon sens. La simple mention du mot « hypocholestérolémiant » permet à n’importe quel médicament de faire les gros titres comme un « sauveur de l’humanité ». Voilà ce qui explique pourquoi on a pu mettre sur le marché des médicaments qui ont augmenté la mortalité, sur la seule base qu’ils baissaient le « mauvais » cholestérol (clofibrate, cérivastatine) ou augmentaient le « bon » (torcetrapib). Cela a permis de tester les statines sur toutes les catégories de patients, transformés en cobayes au nom d’une chasse au cholestérol. Notre pays du « French Paradoxe » a-t-il besoin de sept millions de prescriptions de statines coûteuses, aux effets secondaires sous-estimés ?
J’aimerais insister sur ce point essentiel : une étude bien faite doit utiliser un critère clinique pertinent, comme résultat primaire. Baisser la tension artérielle ou baisser la cholestérolémie ne doit pas être substitué à « sauver des vies » [2]. Comme objectifs secondaires, cela ne me dérange pas qu’une étude utilise des critères moins pertinents. Mais le marketing du laboratoire pharmaceutique ne doit pas l’emporter sur la santé des patients. J’aimerais d’ailleurs que les études sur les hypolipémiants mesurent le syndrome de mort subite, qui tue un patient sur deux, lors d’une attaque cardiaque. Mais sur ce point, le silence est total (sauf pour l’étude 4D, essai négatif) [3].

Une petite revue d’études diététiques
Des études ont testé un changement de régime visant à réduire le ChS selon l’hypothèse lipidique : « Baisser le ChS pourrait éviter des maladies cardiaques, donc sauver des vies ».
Certaines études n’étaient pas en « double insu », ni « randomisées ». Parmi elles, seule la moitié était positive. Certaines études ont montré une augmentation de la Mortalité Toutes Causes (MTC), même si le ChS était abaissé.
Il est scandaleux que de nombreux articles et thèses citent la Finnish Mental Hospital Study, qui n’a respecté aucune règle de base d’une étude clinique et qui désigne le cholestérol comme coupable.
Il y a peu d’études fiables qui montrent que baisser le ChS permet de sauver des vies. Souvent, la MTC n’est pas modifiée significativement ou elle est augmentée. Il est inutile, voire dangereux, de baisser le ChS avec un régime ou avec un médicament.

La communauté scientifique fonctionne mal
L’esprit humain n’aime pas ce qui est négatif. Il préfère les avancées thérapeutiques et les bonnes études positives. Cela permet des gros titres (médias), des publications (revues médicales prestigieuses), des profits éventuels (industries) ou de la renommée et des financements (scientifiques). Dans le contexte actuel, les mentalités commencent à évoluer. L’idée qu’une santé publique doit s’établir sur des bases dépourvues de conflits d’intérêt avance. Cela passe par des changements, qui vont perturber les habitudes et les petits arrangements entre amis. Mais cet assainissement est nécessaire, voire vital.
Cet article n’a pas l’espace nécessaire pour exposer tout ce que j’ai découvert, pour analyser chaque étude publiée, en termes de représentativité des patients, de méthodologie de l’essai ou de réduction de la MTC. C’est une invitation à la discussion, mais de nombreux livres sur ce sujet existent. Le Dr Michel De Lorgeril a réalisé une analyse détaillée de vingt et une études cliniques portant sur les statines, remettant en cause les études contradictoires. Il montre que la prescription de statines repose sur un marketing permettant d’obtenir une balance bénéfice/risque trop favorable, sur une population per protocole (c’est-à-dire triée, considérée comme « idéale » pour le protocole, et non française dans ce cas).

Si ce n’est pas le cholestérol, c’est quoi ?
Le stress est un tueur ignoré [4], car on le considère comme un facteur incontournable de notre société. Mais nous devons nous battre pour améliorer nos conditions de vie au travail, pour avoir plus de temps avec notre famille et nos amis, et pour manger, sans stress, sans mauvaise nouvelle.
La pollution est une autre piste à étudier : les pesticides, la pollution en ville, l’accumulation de produits dans l’air intérieur de nos maisons, les cosmétiques, les médicaments, les perturbateurs endocriniens présents dans notre alimentation et les emballages, les molécules ajoutées au cours de la fabrication des aliments industriels et qu’on retrouve dans notre nourriture.

La nutrition est une science réductionniste
Il y a aussi un facteur que beaucoup oublient : nous ne connaissons quasiment rien sur notre corps, les médicaments ou les aliments. Malgré l’immensité de nos connaissances, chaque jour des milliers d’études découvrent de nouvelles molécules, des propriétés innovantes à des substances déjà connues ou une interaction que nul ne soupçonnait ou qui était jugée impossible. Ainsi nul ne peut décrire avec précision l’effet d’une pomme et d’un café dans notre corps. Nous ignorons l’effet d’un cocktail de molécules (ou de plusieurs médicaments pris simultanément) à l’intérieur de notre intestin, au contact d’autres aliments ou de notre flore intestinale (ou microbiote).
Il serait temps de commencer à être humble. Vouloir imposer à toute une population des consignes de santé publique, en prescrivant des anti-cholestérols à sept millions de Français, en changeant leur alimentation sur des bases biologiques faibles, ou fausses, me paraît de la plus grande imprudence ! Remettre en cause notre patrimoine alimentaire traditionnel et ne rien dire face aux excès de l’industrie fait montre d’un parti pris inquiétant. Pourtant, la piste du régime méditerranéen est encourageante [5]. C’est le seul modèle alimentaire global qui a montré des bénéfices nets en termes de prévention.


par Sylvain Duval, Pratiques N°56, février 2012

Documents joints


[1Keys A. Coronary heart disease in seven countries. Circulation 1970 ; 41 (suppl 1):1-211.

[2« Évaluer les bénéfices d’un traitement », Revue Prescrire, janvier 2008, Tome 28, N° 291, pages 69-70.

[3Michel De Lorgeril, Cholestérol, mensonges et propagande, Thierry Souccar Éditions, page 262.

[4Jean-Paul Bounhoure, Stress, dépression et pathologie cardiovasculaire, Masson, 2010

[5« Continuer à privilégier le régime méditerranéen », Revue Prescrire, 2006 ; 26 (270) : 194-199 (27 références).


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