Dr Michel Nicolle
AMLP (Alerte des médecins sur les pesticides)
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- La récente histoire (vue sous l’angle de la réglementation) du metam sodium, pesticide utilisé comme fumigant principalement dans la culture de la mâche, est un exemple de l’attentisme et de la permissivité des agences, mais aussi de la limite des capacités d’action des États. Elle souligne aussi la place du « politique » pour ce qui concerne LA décision et donc sa responsabilité totale, celle qu’il a, dans ce cas, et dans ce premier temps assumé.
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Rappelons que le metam sodium est interdit en Europe depuis 2009, car sa dangerosité est reconnue formellement, en particulier pour l’exposition des populations riveraines sous le vent. Les principaux signes cliniques observés chez les résidents exposés aux vapeurs de MITC (métabolite volatil du metam sodium) comprenaient des céphalées, des vertiges, une irritation des yeux, du nez et de la gorge, des nausées, des diarrhées, un essoufflement et une oppression thoracique. Les symptômes sont généralement apparus dans les 8 à 24 heures suivant l’accident et de nouveaux cas d’irritation oculaire sont également apparus dans les 14 jours (fiche toxicologique de l’INRS 2015).
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- C’ÉTAIT IL Y A 10 ANS !
Malgré cela, le metam sodium a continué à être utilisé en France de 2009 à 2012 grâce à un système de dérogations, domaine dans lequel la France s’est révélée être une championne. Le ministre de l’Agriculture de l’époque était Bruno Lemaire. Pendant cette période de dérogation de 3 ans est survenu, en octobre 2010, un accident en Bretagne avec pollution des eaux ce qui a conduit à la condamnation d’un agriculteur par les tribunaux.
En 2012, le metam sodium est réautorisé pour 10 ans… il faudra donc attendre 2022 pour une nouvelle évaluation et une ré-homologation. Le metam sodium est classé dans la liste des substances candidates à la substitution, car il présente des risques en termes de toxicité aiguë. Durant cette période de 10 ans, ce classement laisse toute liberté à l’ANSES pour procéder à une évaluation comparative avant de délivrer une autorisation de mise sur le marché (AMM) d’un produit contenant cette substance ; cette évaluation pouvant déboucher sur un refus d’autorisation ou une simple limitation.
En 2018 débute une campagne exploratoire nationale sur la présence de pesticides dans l’air sous l’autorité de l’ANSES et l’appui technique du Laboratoire Central de Surveillance de la Qualité de l’Air (LCSQA) qui établissent une liste socle de substances à rechercher.
Le metam sodium, produit dont les métabolites sont extrêmement volatiles, ne figure pas dans ladite liste.
Nous demandons donc à notre Association régionale Agréée pour la Surveillance de la Qualité de l’Air (AASQA) de bien vouloir l’ajouter à la liste : s’agissant d’une campagne nationale, celle-ci devait par définition être la même pour toutes les régions.
Nous saisissons alors l’ANSES car le metam sodium est classé CR2 (cancérigène reprotoxique probable) et ses métabolites sont très dangereux : réponse 4 mois plus tard après plusieurs relances.
Bien que reconnue substance « pertinente » par l’ANSES, celle-ci n’est pas retenue dans la liste du fait de :
- son usage spécifique et localisé (s/e géographiquement, en effet le bassin nantais concentre 50 % de la production européenne et 80 % de la production française) même si le MS est prioritaire pour la population riveraine versus la population générale.
- de difficultés techniques de dosage… des travaux vont être mis en œuvre pour les résoudre !
- de l’absence de prise en compte des métabolites (methyl isothiocyanate - MITC) car peu de données disponibles… ce qui débouche sur de nouvelles recommandations de travaux ».
- « de la nécessité de travaux spécifiques et d’études complémentaires sur les produits de transformation » dans le cadre de la phyto-pharmacovigilance (PPV)… !
Or, les données de l’agence américaine de protection de l’environnement (EPA) sont établies depuis 2008 : recommandation de faire des recherches sur le MS et le MITC dans l’air du fait des dangers encourus par les riverains ; en 2014, une publication développe la méthode de dosage dans l’air ; ainsi, à Washington, 22 % des échantillons aériens sont au-dessus des normes fixées par l’EPA.
Le fait de mentionner dans la réponse l’insuffisance de données et la nécessité de nouveaux travaux nous rappelle un refrain connu et nous laisse imaginer que l’autorisation de mise sur le marché (AMM) est faite pour durer encore un bon moment.
Par ailleurs, le fabricant (Taminco dont le siège est à Gand), dans sa fiche de données de sécurité rédigée en décembre 2015, décrit les copieux effets nocifs du metam sodium :
Texte complet pour phrase H
H302 : Nocif en cas d’ingestion.
H314 : Provoque des brûlures de la peau et des lésions oculaires graves.
H317 : Peut provoquer une allergie cutanée.
H318 : Provoque des lésions oculaires graves.
H332 : Nocif par inhalation.
H351 : Susceptible de provoquer le cancer.
H361 : Susceptible de nuire à la fertilité ou au fœtus.
H373 : Risque présumé d’effets graves pour les organes à la suite d’expositions répétées ou d’une exposition prolongée.
H400 : Très toxique pour les organismes aquatiques.
H410 : Très toxique pour les organismes aquatiques, entraîne des effets néfastes à long terme.
PATATRAS ! Automne 2018, l’automne des « surprises en rafale ». En un mois et demi ont lieu la démission fracassante de Nicolas Hulot et, SURTOUT, une série d’accidents dus au metam sodium dans le Maine et Loire et la Loire Atlantique (dont est issu le tout nouveau ministre de l’Écologie, F. de Rugy) ; un premier arrêté de suspension est publié par la Préfecture du Maine et Loire pour une durée de 15 jours. Un 3e accident se produit le jour même où le ministre de l’Agriculture, S. Travert, quitte le gouvernement et est remplacé par D. Guillaume. Mais devant une levée de boucliers — on ne peut plus justifier — la situation urge et ne peut attendre ! Le politique le sait et s’en saisit ! La Préfète de Loire Atlantique prend un arrêté de suspension le 23 octobre pour une durée SEULEMENT de 3 jours !
Pour fixer un si court délai, était-elle au courant qu’au niveau national un arrêté interministériel serait publié le 25 octobre, le politique prenant le relais de l’administratif ? Seulement 8 jours après la nomination de D. Guillaume comme ministre de l’Agriculture, un arrêté interministériel de suspension est publié en attendant l’avis sollicité près de l’ANSES dans les 3 mois, le temps jugé raisonnable pour une évaluation.
Le 5 novembre 2018, l’ANSES affirme que « l’usage de la substance peut constituer un risque pour la santé humaine et l’environnement » ; conformément à son rôle, elle n’évalue pas le danger intrinsèque de la substance, mais seulement les risques des produits en contenant.
Mais cette fois-ci, à la différence de ce qu’elle avait conclu 3 semaines plus tôt dans son avis du 16 octobre sur les produits (voir ci-dessous), l’ANSES retire les AMM de ces produits 8 jours après que le gouvernement lui a demandé son avis par arrêté interministériel (dont un week-end et un jour férié). Ceci nous questionne sur une éventuelle présence de l’évaluation dans les tiroirs.
En effet, l’ANSES avait reçu le rapport d’évaluation du metam sodium par les deux États membres rapporteurs zonaux (dont l’Espagne ; à noter que la France fait partie du même groupe que l’Espagne) en avril 2018 c’est-à-dire 6 mois plus tôt.
Nous demandons alors à l’ANSES sur quelles bases scientifiques cette non-autorisation est fondée.
En fait, l’ANSES a pris sa décision de retrait sur la base de l’évaluation des produits contenant du MS, ce qui a débouché sur son avis du 16 octobre… (rédigé le jour de la nomination du nouveau ministre de l’Agriculture) : l’évaluation n’a pu être finalisée du fait de l’utilisation d’un film (le MS est injecté sous la bâche), car cette technique n’a pas été prise en compte dans les travaux d’évaluation, d’où comme conclusions, un grand nombre de préconisations : l’ANSES énonce un grand nombre de mesures de précaution pour limiter les risques de toxicité pour les travailleurs et les riverains…
Donc le 25 octobre, date à laquelle le gouvernement demande une évaluation à l’ANSES, cette dernière, vient de publier un avis (16 octobre) où elle cite les risques et les moyens de s’en prémunir et, 3 semaines après, c’est-à-dire une simple semaine après la saisine par le gouvernement, elle retire l’AMM (5 novembre).
Difficile de comprendre ces temps et contre temps…
Et maintenant qu’attendre au niveau européen ?
Dans le rapport de l’IGAS de 2017, il est précisé que le metam sodium reste autorisé au niveau européen jusqu’au 30 juin 2022 et qu’il s‘agit d’une substance sur la liste des substances soumises à substitution, « c’est-à-dire que le MS présente un niveau de DANGER reconnu ».
L’ANSES a transmis ses éléments à la Commission européenne pour une nouvelle évaluation, étant par ailleurs donné que dans l’état actuel de l’affaire, chaque État membre à la liberté d’autoriser ou d’interdire la substance en fonction de ses particularités.
Le député européen Andrieu a par ailleurs demandé à l’exécutif européen d’interdire sans délai toutes les dérogations relatives au metam sodium, afin d’éviter toute distorsion commerciale entre les pays et d’imposer un principe de précaution de manière uniforme. L’affaire n’est pas réglée, puisque le commissaire européen a souligné que les États membres, quand ils autorisent ou retirent l’AMM d’un produit, doivent : « procéder à une évaluation pour déterminer s’il existe des solutions de remplacement présentant un moindre risque pour la santé et l’environnement, y compris des méthodes non chimiques. Sur la base des résultats de cette évaluation comparative, qui doit être effectuée régulièrement, les États membres maintiennent, retirent ou modifient l’autorisation. »
Et, à ce jour, pour le commissaire européen, la France n’a pas informé la commission que le retrait de l’AMM du metam sodium s’accompagnait de cette étude comparative telle qu’elle est imposée par le règlement européen ! En dernier lieu, la date limite de soumission de la demande de renouvellement de l’autorisation expire le 30 juin 2019. Pourquoi être inquiet pour la suite, du fait des recours et d’éventuels contentieux ? Cette possibilité (de refuser l’autorisation ou de limiter l’utilisation d’un produit phytopharmaceutique contenant cette substance dès lors qu’il existe une alternative plus sûre) « est d’autant plus limitée que le règlement prévoit le cumul des quatre conditions suivantes pour ne pas autoriser ou limiter l’usage des produits contenant des substances candidates à la substitution :
- l’existence d’une méthode alternative non chimique ou d’une alternative chimique,
- la substitution par ces méthodes ne présente pas d’inconvénient économique ou pratique majeur,
- la diversité des méthodes de lutte permet d’éviter les résistances,
- le retrait du produit pour un usage n’a pas de conséquence pour d’autres usages
mineurs. » (rapport IGAS N° 2017-124R).
On voit très bien que dans le cas présent, les risques de contentieux sont énormes…
Les limites de la réglementation : quand une substance n’est pas autorisée mais est inscrite sur la liste d’exclusion ou de substitution, ceci veut dire en langage jésuite :
- qu’elle est non autorisée mais pas interdite ! « Lors du réexamen de l’approbation, certaines substances ne sont plus approuvées : elles sont alors retirées du marché, avec des délais de grâce fixés au cas par cas pour les distributeurs, ainsi que pour les utilisateurs finaux. » (rapport de l’IGAS)
- qu’elle reste sur le marché pendant une période de « purgatoire » de plusieurs années, période renouvelable, avec des aménagements sur les conditions de son utilisation en attendant sa ré-homologation.
Deux poids deux mesures : MS et glyphosate…
Quand les producteurs de mâche disent qu’il n’y a pas d’alternative au MS, malgré cela le gouvernement interdit quand les producteurs de carottes manifestent, car ils disent qu’il n’y a pas d’alternative aux dichloropropene, le gouvernement ne renouvelle pas ses dérogations.
MAIS quand les syndicats agricoles disent qu’il n’y a pas d’alternative au glyphosate, le gouvernement donne une échéance de 3 ans.
La différence réside dans le fait que le dimethoate, le metam sodium, le dichloropropene ont des usages spécifiques, alors que le glyphosate inonde la planète de manière généralisée : les volumes ne sont pas les mêmes !
Que dire ? La partie est difficile et l’exercice a ses limites…
- on a eu l’interdiction des néonicotinoides suivie de la délivrance de dérogations,
- on a eu l’interdiction de l’epoxiconazole en 2019 alors qu’il n’était presque plus utilisé selon les termes du fabricant (entre 2015 et 2019, diminution de l’usage de 80 % en France, arrêt de la production prévue en 2019) [1],
- l’interdiction du dimethoate, la France faisant jouer la clause de sauvegarde (un risque sérieux et immédiat pour l’environnement),
- l’interdiction de la tallowamine dans le round up, mais qu’en est-il des autres produits dans lesquels on pourrait la retrouver ?
La communication est aussi un outil majeur dans ces cas ; ce que retiendront les lecteurs dans la presse, ce sont ces titres :
– 132 produits à base de glyphosate contenant de la tallowamine ont été retirés du marché,
– 76 produits contenant de l’epoxiconazole ont été retirés du marché.
Voir, dans ce numéro, l’article Attention poison ! de Sofian’ Naït-Bouda et Sylvie Cognard.