Lanja Andriantsehenoharinala
Médecin généraliste
Cette fois, je dirai tout. Je dirai que j’entends bien les épreuves par lesquelles elle est passée, mais qu’elle n’est pas obligée de mentir, ici. Qu’elle n’est pas obligée d’avoir mal quelque part pour que je m’occupe de sa santé. Qu’elle n’est pas obligée de demander des médicaments pour savoir si je vais la protéger, si je vais l’empêcher de prendre toutes ces pilules : pour dormir, pour l’asthme, pour l’allergie. Pour la douleur. La première fois qu’elle est venue en consultation, l’ordonnance même était un symptôme : mélangée et dangereuse, avec des opiacés de tous bords. Démêler les signes cliniques des effets secondaires des médicaments a pris du temps ; on a convenu qu’un de nos buts était de réduire puis d’arrêter la morphine. À chaque palier, son corps et son esprit résistent et produisent un signal : elle s’est cognée, elle ne dort plus ou elle a des fourmis dans le bras.
Elle vient en consultation en fauteuil roulant. Au début, elle n’en sortait pas. Un jour, je la vois qui se lève, le laissant dans la salle d’attente. Elle est bien habillée, fait beaucoup plus attention à elle qu’avant : élégante, maquillée, remplumée des joues. Je suis surprise qu’elle quitte son fauteuil-béquille… puis je la vois qui claudique du pied gauche, en appuyant sur la tranche extérieure du pied, presque à se faire une entorse avec l’os de la malléole qui toucherait par terre. Une démarche de son invention : je pince mes lèvres.
Je pense à ma fille qui me demande toujours très sérieusement de jouer à faire semblant. Je rentre tout de suite bien volontiers dans son monde. Je me demande souvent si on joue aussi avec cette patiente. S’il ne vaut pas mieux mettre fin à tout ça en mettant les quatre vérités, patatras, sur la table, que ça serait vraiment thérapeutique plutôt que continuer la mascarade… et puis non, ça continue tout seul comme ça et je me demande pour la énième fois : bon sang, que se passe-t-il ?