Le Développement Professionnel Continu, un marché de dupe

La formation continue des médecins, réformée dans le cadre de la loi Hôpital Patients Santé Territoires (HPST), ne gagne ni en indépendance ni en moyens et risque de remettre en cause des expériences associatives de qualité.

Séraphin Collé,
médecin généraliste en colère

Les décrets d’application de la loi HPST concernant le Développement Professionnel Continu ou DPC, annoncés pour juillet 2009 ont été publiés fin 2011 ; 2012 sera une année de transition. Le DPC est obligatoire pour tous les médecins libéraux et salariés et pour tous les professionnels de santé, il regroupe la formation continue et l’évaluation des pratiques professionnelles.

C’est la suite d’une longue saga concernant la formation continue des professionnels de santé. Celle-ci souffre depuis toujours de l’influence des lobbies pharmaceutiques. Le DPC va entraîner la suppression de la Formation Professionnelle Conventionnelle qui, depuis 1998, avait été un réel progrès pour la formation des généralistes. Financée dans le cadre de la convention avec l’Assurance maladie, son existence ne dépendait pas de l’industrie pharmaceutique et les médecins étaient rémunérés pour se former. Elle se faisait sur des thèmes agréés par l’Assurance maladie, mais les organisateurs gardaient une certaine autonomie ; chaque généraliste pouvait s’inscrire à huit journées de formation par an, mais 25 % d’entre eux seulement participaient à cette formation chaque année. Malgré l’obligation théorique de formation, aucune autre mesure n’a jamais été instituée pour inciter les médecins à se former et le FOPIM, fonds de soutien aux outils d’information indépendants, financé par une taxe sur l’industrie pharmaceutique n’a survécu que de 2002 à 2004.

Ces décrets sont le fruit de longues négociations. 
Ils fixent le fonctionnement de l’Organisme Gestionnaire du Développement Professionnel Continu (OGDPC), l’organisation et le contrôle de l’obligation individuelle de formation.
L’OGDPC comprend plusieurs commissions avec des sections par profession de santé. La Commission paritaire définit l’utilisation des sommes du DPC [1], spécialistes et généralistes y sont regroupés à parité avec les représentants de l’État et des caisses. La Commission Scientifique indépendante des Médecins (CSIM) sera composée de : vingt-deux représentants des conseils nationaux de spécialité d’exercice (dont cinq membres issus du Collège de la Médecine Générale), un représentant de la conférence des doyens, du Conseil National de l’Ordre des Médecins, trois personnalités qualifiées pour leur compétence (...), et un représentant du Service de Santé des Armées.
Chaque médecin a l’obligation de s’inscrire à une action de DPC collective annuelle, soit à une à deux journées de formation par an. Le programme doit être conforme aux orientations définies par l’OGDPC selon des modalités validées par la Haute Autorité de Santé. Ces journées doivent être organisées par un Organisme de Développement Professionnel Continu (ODPC) homologué par le ministère après avis de la Commission Scientifique Indépendante des Médecins. Ces organismes devront déposer en même temps que leur demande d’enregistrement un dossier d’évaluation.
La Commission scientifique conseillera aussi la Haute Autorité de Santé sur les modalités retenues pour valider une action de DPC en tant que participant ou formateur, ainsi que sur les orientations de DPC prises au niveau national par le ministère de la Santé et au niveau régional par les Agences Régionales de Santé. Elle listera également les Diplômes Universitaires faisant office de DPC. L’indépendance des membres de l’OGDPC est censée être garantie par différents textes : la loi interdisant aux professionnels de santé de recevoir des cadeaux de la part des lobbies pharmaceutiques, la loi sur la transparence de l’information qui stipule — article 26 — l’obligation de déclaration des liens d’intérêt pour tout membre d’une profession médicale s’exprimant publiquement sur un produit de santé, et l’article L 1451-1 de la récente loi de renforcement de la sécurité sanitaire du médicament [2] qui stipule l’obligation de déclaration des liens d’intérêt, la publicité de ceux-ci et l’interdiction de prendre part aux travaux délibérations et votes pour les personnes qui ont des liens d’intérêt directs ou indirects avec l’affaire examinée.

Tout ceci peut sembler à première vue une avancée sur le plan de l’indépendance et de la qualité de la formation, mais plusieurs remarques et critiques peuvent déjà être formulées : 
— L’article sur l’enregistrement des organismes de formation auprès de l’OGDPC est ambigu : ces organismes n’ont aucune contrainte pour s’enregistrer mais, pour proposer des formations validant l’obligation de formation, ils devront être évalués par la CSIM sur « leur indépendance financière à l’égard des entreprises fabriquant ou distribuant des produits de santé » ainsi que « sur la qualité et les références des intervenants » : il n’est pas question ici de l’indépendance réelle des intervenants qui serait l’absence de conflit d’intérêts. On imagine très bien la capacité de lobbying des firmes à profiter de ces lacunes : les formateurs pourront avoir des liens d’intérêt sans que cela pose de problème à la CSIM à condition qu’ils les déclarent. Par ailleurs, le décret ne permet pas de savoir comment les critères d’évaluation seront appliqués, puisqu’il renvoie à un arrêté non publié « qui précisera les modalités d’appréciation des critères ».

  • — La CSIM est composée de représentants des collèges de spécialités qui tous (y compris celui de la médecine générale) ont recours aux firmes pharmaceutiques pour organiser leurs congrès, ce qui constitue déjà un conflit d’intérêts collectif.
  • — La publicité des débats, qui va concerner la nouvelle agence du médicament, ne semble pas concerner les délibérations de la CSIM, puisqu’il est précisé que ses membres auront une « obligation de confidentialité ».
  • — Enfin, on ne sait pas encore quelles seront les options en matière de programmes de formation, mais la centralisation des décisions dans les cabinets ministériels et les bureaux de la HAS fait craindre des options pédagogiques plus calquées sur des critères de « performance » et de maîtrise des dépenses de santé que sur les besoins de santé publique, les inégalités sociales en santé ou l’accès aux soins... (la nouvelle convention médicale nous en a encore fait la démonstration).
  • — Que deviendront les initiatives d’associations ou de réseaux de santé dont les thèmes ne correspondront pas aux décisions prises en haut lieu sur des critères très éloignés des préoccupations des professionnels et des patients (comme des formations sur la toxicomanie ou la précarité par exemple...) ? Pourront-ils trouver leur place dans ce nouveau dispositif sans souffrir de la concurrence de structures dont la seule motivation sera de prendre des parts de marché ?
    — De plus, concernant l’organisation de sanctions en cas de manquement, le gouvernement n’a pas imaginé d’autre mesure que de confier ce contrôle à l’Ordre des Médecins.
    Il n’a pas voulu non plus s’interroger sur le désengagement des professionnels de santé pour la formation : perte de motivation, surmenage ou formations ne correspondant pas à leurs centres d’intérêt. Il n’était vraisemblablement pas imaginable que les soignants soient considérés comme responsables de leur formation. Des mesures incitatives n’étaient pas non plus acceptables par un gouvernement qui n’a eu de cesse que de réduire les libertés individuelles, alors pourquoi pas celle des professionnels de santé ? Le Conseil de l’Ordre saura y veiller !
    — Enfin, si le montant du budget global affecté au DPC n’est pas connu 2, tout porte à croire que les médecins ne seront plus indemnisés que pour deux jours de formation au lieu des huit jours précédemment financés dans le cadre de la FPC. Les médecins décideront-ils de prendre sur leur temps et de payer leur formation complémentaire auprès d’organismes indépendants ou cèderont-ils aux sirènes d’associations de formation financées par les lobbies pharmaceutiques ?
    La mobilisation de celles et ceux qui sont attachés à l’indépendance de la formation est nécessaire, en espérant que les échéances électorales à venir pourront rétablir du bon sens dans la politique d’incitation à la formation continue des professionnels de santé pour l’amélioration des pratiques professionnelles, au profit de la santé du citoyen. Il faut développer des moyens mis à la disposition des associations et organismes se souciant de formation indépendante, organisée avec les professionnels et correspondant aux besoins des usagers.

par Séraphin Collé, Pratiques N°57, mai 2012

Documents joints


[1Le DPC des médecins sera financé par une taxe prélevée sur l’industrie pharmaceutique et par l’Assurance maladie dans le cadre conventionnel.


[2Cette loi remplace l’AFSSAPS, trop entachée par des scandales sanitaires, par la nouvelle Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé.

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