Le CHU rétrécit, la lutte veut grandir

Céline Declercq, Mathieu Declercq
Militants France Insoumise participant à un collectif citoyen

Le regroupement des sites actuels sur l’Île de Nantes est présenté comme la seule option possible pour le nouvel hôpital, mais il pose nombre de questions environnementales et de santé publique. Un collectif de militants et de citoyens tente de rouvrir le débat et d’interpeller l’opinion publique.

À Nantes, le nouveau projet hospitalier prévoit de regrouper les différents sites du Centre hospitalier universitaire (CHU), soit 67 hectares, sur un seul de 10 ha. Cela entraînera la suppression d’environ 350 lits (sur 2 600) et entre 800 et 1 000 emplois (sur 12 000) sacrifiés pour une métropole destinée à atteindre un million d’habitants dans quelques années.
Le 12 février 2019, la commission d’enquête du plan local d’urbanisme (PLU) métropolitain a pointé sévèrement « les moyens qui ont été retenus pour informer les habitants de façon précise et ouverte sur l’aménagement de leur territoire ». Le projet de regroupement du CHU est un exemple de ce manque de concertation avec la population.
Pour le collectif, la diminution du personnel et du nombre de lits ne répond pas à un objectif de soins ou de besoins, mais à celui d’une gestion des flux. Le futur hôpital répondra au modèle économique d’une « usine à soins » plutôt qu’à un équipement soucieux du bien-être des malades et des soignants et de la qualité des soins qui y seront prodigués.
L’augmentation des soins en ambulatoire à hauteur de 64 % n’est probablement pas adaptée à une population vieillissante, notamment en l’absence de structures de ville adaptées.
Décidé il y a une dizaine d’années, le regroupement répond essentiellement à une vision urbanistique d’aménagement de l’Île de Nantes. Les notions d’attractivité et d’aménagement immobilier apparaissent prédominantes et sans cohérence avec les politiques environnementales, sociales et sanitaires.
Des interrogations existent quant à l’emplacement retenu : difficultés d’accès, risques d’inondation, survol aérien, évacuation impossible en cas de sinistre majeur… À long terme, il est difficile d’envisager une évolution du bâti sur un terrain de 10,10 ha (contre 67 ha actuellement)
La réorganisation et la répartition des services entre les différents sites n’ont jamais été envisagées. Et que devient la coopération avec le Centre anticancéreux qui refuse de déménager pour des raisons financières, alors que le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) insistait sur la nécessité d’un déménagement concomitant ?

La construction d’un collectif de lutte
Par ailleurs, ce nouvel établissement ne pourra pas apporter de solutions aux dysfonctionnements actuels, ni pour réduire le délai d’attente en chirurgie, ni sur le nombre et le pourcentage de reports d’interventions faute de places (320 reports en chirurgie cardiaque en 2018), ni sur le nombre de jours d’hôpital en tension, le nombre de malades hospitalisés sur des brancards aux urgences, ni encore sur l’absentéisme du personnel soignant surmené. Dans cet hôpital en tension, les arrêts maladie ont doublé en dix ans. Comment fera-t-il face à terme à l’accroissement prévu de la population et à son vieillissement dans sa zone d’influence ?
Au niveau financement, la dérive est inquiétante : de 350 M€ en 2011 à 984 M€ aujourd’hui, le coût final risque d’atteindre 1,5 milliard d’euros. L’établissement prend à sa charge 77 % des coûts (estimés…) de construction du nouvel hôpital : 324 millions (33 %) sur les fonds propres du CHU et un emprunt à hauteur de 427 millions (44 %). Seulement 225 millions (23 %) sont apportés par l’État. Cette méthode de financement fragilise d’ores et déjà les soins au prix d’économies sur les postes et les remplacements pour constituer un « bas de laine ». Il faudra toujours économiser après le transfert pour rembourser l’emprunt.
Depuis plusieurs années déjà, les patients et le personnel paient cette « addition » par la restriction et la contraction des budgets de fonctionnement, et cela va durer encore des années !
Le personnel, par la voix de la CGT, syndicat majoritaire, dénonce avec constance le projet de regroupement dans ces conditions de restriction des moyens.
En janvier 2018, un collectif est constitué, et un débat public, organisé par le « groupe thématique » santé de LFI Nantes, a eu lieu en avril 2018.
Lors de ce débat, les interventions étaient ouvertes à des professionnels de la santé, un géographe, des citoyens ayant abordé la question de la démocratie. La direction du CHU a décliné l’invitation. Ce débat, premier temps fort de la construction du collectif, a nécessité de préparer des interventions précises sur les questions posées par le projet. Le groupe a dû se plonger dans la maigre documentation publique et s’est heurté à l’opacité des pouvoirs publics. Certaines questions sont restées en suspens, et le sont toujours plus d’un an après. Ainsi les études sur les projets alternatifs n’ont jamais été rendues publiques.
Suite à cette réunion, des contacts ont été pris avec d’autres organisations (partis, syndicats, associations) et ont permis progressivement un rapprochement et la construction du collectif.
Le collectif a été invité par le directeur général du CHU pour échanger sur le projet. Cette discussion a été l’occasion d’un chantage : « C’est ce projet ou rien » et « Vous faites le jeu des cliniques privées » pour tenter de nous dissuader de poursuivre nos actions. Des micros-trottoirs et des distributions de tracts ont permis de se rendre compte du peu d’information des citoyens. La principale préoccupation était la localisation (embouteillages et risques d’inondations), peu savaient que le nombre de lits et de personnel allait diminuer.
Le collectif a ensuite étudié durant l’automne-hiver 2018-2019 la possibilité légale de saisir la Commission nationale du débat public (CNDP). Ne comprenant pas de juristes dans son équipe, il a dû se tourner vers des personnes-ressources extérieures. Le montage financier du projet a rendu impossible cette saisie, mais cette étape lui a permis de maîtriser plus encore le projet. Cela a aidé à déconstruire les arguments et à étoffer une argumentation riche sur tous les points abordés.
Après quelques mois de recherches documentaires et de construction d’argumentaires, l’élaboration par le collectif d’un texte commun a permis de lancer une pétition.
Cette pétition, lancée pendant le temps de l’enquête publique sur le projet de regroupement du CHU, a recueilli environ 1 800 signatures en quelques semaines. Elle a été l’occasion d’obtenir une couverture presse, de lancer une communication sur les réseaux sociaux et d’accueillir de nouveaux participants.
Le collectif a été au-devant du public pour diffuser des tracts afin de permettre aux Nantais d’accéder aux différents arguments, de faire signer la pétition et d’inciter à participer à l’enquête publique en cours,
Toutes les distributions de tracts ont eu une bonne écoute, les gens se souciant de l’évolution de leur hôpital, s’étonnant de la diminution d’offre de soins et du manque d’information reçue.
Une campagne d’information à grande échelle permet de sortir les citoyens d’une position défaitiste, où ils considèrent que, à partir du moment où le projet est annoncé comme définitif, plus aucune action ou modification ne semble possible.
Le nombre d’interventions des citoyens dans le cadre de l’enquête publique (plusieurs centaines) montre qu’il y a un appétit démocratique et une volonté d’être impliqué. Malheureusement, les conditions d’accès au débat et à l’information restent faibles face au poids de la communication « officielle ».

Il faut souligner que les syndicats étaient dans une situation compliquée, occupés par les élections professionnelles au moment de nos actions, pris par le discours : « C’est ce projet ou rien » martelé par la direction du CHU.
Les personnels hospitaliers sont également peu informés des conditions de travail et de soins qui les attendent, conscients que l’objectif est économique et non sanitaire.
Cette situation explique que le collectif soit parti d’un mouvement politique et de citoyens, plus que des syndicats ou du personnel.
Dans un collectif, les intérêts et les points de vue varient : pour certains, la priorité va à l’accès aux soins, pour d’autres l’accent est mis sur la question de l’emplacement. De même, sur les « solutions » à proposer, les avis divergent : établissement unique, mais dans un autre lieu, établissements multisites, réorganisation, rénovation…
La construction d’un collectif éclectique permet de partager des représentations différentes de la question, d’échanger et de faire évoluer les positions de chacun. Ainsi le groupe Groupement d’analyses et d’études de Loire Atlantique (GAELA), plus préoccupé par la question de l’inondabilité, a progressivement intégré la question de la santé à ses argumentaires.
Ce collectif permet, selon l’expression d’un de ces membres, de « taper sur le même clou avec des marteaux différents ». Les courriers construits ensemble, envoyés séparément au ministère ou à la presse, permettent à chacun de mettre l’accent sur ce qui lui semble le plus important et limitent le problème des signatures conjointes (parfois compliquées pour des organisations éloignées politiquement).

La santé est l’affaire de tous. Il est important que tout un chacun puisse participer à l’élaboration d’un projet aussi important que l’hôpital universitaire de la cinquième ville de France, projet de plus d’un milliard d’euros. À Nantes, les conditions pour ce débat public n’ont pas été réunies.
La construction d’un collectif a été un chemin long et semé d’embûches. Néanmoins, à défaut, de faire évoluer le projet, elle a permis d’alerter une partie de la population sur les risques de celui-ci.


par Céline Declercq, Mathieu Declercq, Pratiques N°87, octobre 2019

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