Alain Abrieu, psychiatre de Secteur, C. H. Edouard Toulouse
Soigner la personne et son milieu environnant, tel est l’objectif du mouvement de psychothérapie institutionnelle. L’analyse psychopathologique et sociopolitique en sont les moyens.
La moindre des choses est le titre du documentaire de Nicolas Philibert sur la clinique psychiatrique de La Borde. C’est la réponse de Jean Oury, son fondateur, à la question « Mais qu’est-ce que c’est la psychothérapie institutionnelle ? ». La psychothérapie institutionnelle, ce courant de la psychiatrie né au détour de la dernière guerre mondiale qui a voulu rendre au fou sa dignité d’humain et transformer les asiles de l’époque en véritables lieux de soins, est une praxis qui tente précisément de répondre à la question que pose Pratiques : la folie, une maladie ?
Les soins en psychiatrie renvoient toujours à une conception de la maladie mentale, mais la plupart du temps ces références ne sont pas clairement énoncées. Ceux qui se référent au mouvement de psychothérapie institutionnelle considèrent que la folie fait partie de la condition humaine, ce que résume la citation de François Tosquelles, un des pères fondateurs de ce mouvement, « sans reconnaissance de la valeur humaine de la folie, c’est l’homme même qui disparaît ». [1]
S’adresser à un malade en tant que personne semble une évidence, « la moindre des choses », eh bien non ! La réalité du quotidien nous le montre. Le fou est devenu un malade dangereux, un objet de soins qui s’éloigne de plus en plus de nous. Bien sûr, il est difficile de côtoyer des personnes écorchées vives, pour qui l’Autre est une question permanente, la relation source d’angoisse… La mise à distance défensive semble la solution la plus rapide, mais est-elle efficace à long terme ? La souffrance évoquée dans la plupart des lieux d’accueil de la folie est la preuve que non. Alors parler de la psychothérapie institutionnelle peut être bien utile car, malgré la déclaration d’obsolescence de cette méthode de travail par la Haute Autorité en Santé, elle reste une boussole pertinente pour guider notre pratique.
Mais entendons-nous bien ! Et il en va de même pour le Secteur et la psychothérapie institutionnelle, ces deux versants d’une même médaille, en parler c’est bien, la traduire en pratique c’est mieux !
Les conditions de travail dans les lieux de soin sont de plus en plus difficiles, alors que faire ?
Alimenter à l’infini le discours de la plainte stérile et pathogène ? Passer l’essentiel de son énergie dans la recherche de stratégies de fuite et d’évitement de la rencontre avec les personnes malades ?
Si l’on faisait plutôt l’inventaire de la boîte à outils de la psychothérapie institutionnelle [2] puisque les psychiatres d’alors voulaient comme nous changer les lieux de soins : le travail sur l’ambiance, le transfert dissocié, la constellation transférentielle, la théorisation permanente, l’analyse institutionnelle, la relation d’empathie, la double articulation aliénation sociale/aliénation mentale, la réflexion sur statut – rôle – fonction… Digérons ces ouvertures et mettons en place de nouvelles pratiques. L’humain est complexe, faisons l’éloge de cette complexité.
Il en est ainsi d’une des références essentielles de la psychothérapie institutionnelle, l’analyse de l’aliénation sociale et de l’aliénation mentale, que F. Tosquelles appelait les deux jambes de la psychothérapie institutionnelle. Dans l’après-guerre, les références théoriques étaient pour l’aliénation sociale, le marxisme, et pour l’aliénation mentale, la psychanalyse. Quand on voit l’influence du marxisme et de la psychanalyse actuellement, on peut comprendre pourquoi la psychothérapie institutionnelle a marqué le pas.
Et pourtant !
Qui ne perçoit pas dans son quotidien le poids de l’aliénation sociale ? Je ne pourrais ici débattre sur la pertinence du marxisme ! Mais ce dont je suis sûr, c’est de la nécessité d’une lecture sociopolitique du contexte sociétal.
Qui ne perçoit pas dans son quotidien la nécessité d’une lecture psychopathologique de ce qui se passe dans la vie de ceux que nous sommes censés soigner, vie toujours singulière ? Et ne confondons pas l’aiguillon subversif de la psychanalyse toujours à réinventer comme le préconisait Freud avec les « prêts-à-porter » psychanalytiques livresques.
Tâche bien difficile que cette approche globale, mais indispensable, si on veut une psychiatrie accueillante qui puisse permettre de vraies rencontres.