Noëlle Lasne,
médecin
La fracture est venue là où on ne l’attendait pas. Alors que la porte des caisses primaires d’Assurance maladie s’ouvrait largement aux plus démunis, une nouvelle politique du service public se mettait en place. Un guichet unique pour les assurés, c’est bien, mais que fait-on lorsque le guichet disparaît ?
En Ile-de-France, selon les caisses, on ne remplace qu’entre 15 et 55 % des départs en retraite des agents d’accueil. Par ailleurs, la polyvalence des hôtesses d’accueil, mais aussi celle des techniciens, qui connaissaient bien la législation complexe de l’Assurance maladie et pouvaient traiter sans distinction un problème de retard dans le versement des prestations ou un changement de situation de l’assuré, ont disparu pour laisser place à la parcellisation des tâches. Dans la revue CFDT magazine de janvier 2012, une déléguée syndicale explique comment on pouvait « dépatouiller l’ensemble d’un dossier quand l’assuré se présentait au guichet, avec l’aide des collègues des services de production qui travaillaient dans les bureaux à l’arrière. »
Aujourd’hui, chacun est spécialisé par « processus » : remboursement des feuilles de soins, paiement des arrêts de travail, accidents du travail. Les accueils sont éclatés géographiquement. Avec ce système, c’est comme à la chaîne, chacun ne traite plus qu’un petit bout, sans connaissance de l’ensemble. Le dossier de l’assuré peut être traité par quatre ou cinq centres différents, mais personne ne sait où il est, témoigne un élu du CHSCT à la CPAM.
En août dernier s’opère la séparation définitive entre les accueils et les « centres de production ». Les agents d’accueil ne peuvent plus appeler leurs collègues des centres de production. Tout doit se faire par mail. Les conditions de l’accueil se délabrent, dégénèrent dans l’agressivité verbale, d’où une recrudescence des agressions.
Aux accueils et sur les plates-formes d’appels, les agents vivent sous la pression des compteurs et des indicateurs d’appel. Les hôtesses et les conseillers ont désormais des scripts pour répondre aux assurés. La plupart des tâches sont chronométrées. Le temps autorisé pour répondre à un assuré est fixé à 3 minutes 20. Au-delà, on court le risque de recevoir un rappel à l’ordre de la part de son superviseur. Les superviseurs des centres de production doivent eux-mêmes rendre des comptes sous forme de « reporting ». Les réclamations explosent.
Pourtant, la fermeture des caisses primaires continue : Paris devrait perdre vingt-deux centres sur quarante-trois, la CPAM des Hauts de Seine dix-neuf sur quarante. Dans certaines villes comme Nantes, ce sont les assistantes sociales des caisses d’assurance retraite qui ont pris le relais en recevant en direct les assurés sociaux.
La dernière convention d’objectifs et de gestion, qui prévoit la fusion des caisses, négociée toutes les trois ans entre l’État et la caisse d’Assurance maladie, prévoit de supprimer 4 000 postes. Aujourd’hui, les agents de plus de 50 ans, qui représentent 47 % des effectifs, constatent que la relation à l’assuré est devenue virtuelle. En lieu et en place d’un guichet unique, il n’y a tout simplement plus de guichet.
Source : CFDT magazine, janvier 2012, Emmanuelle Pirat.