La « couverture maladie pour tous »

Comment bricoler, en plus mal, ce qui existe déjà mais que l’on ne développe pas.

Pierre Volovitch
économiste de la santé

« Généraliser » les droits et les rendre « portables ».

Pour que les droits à la couverture santé se généralisent, l’Accord National Interprofessionnel du 11 janvier (désormais ANI) met en place des négociations (longues) : elles débuteront au plus tard le 1er avril 2013. Si ces négociations ne conduisent pas à un accord « de branche » avant le 1er juillet 2014, on passera à des négociations d’entreprise qui doivent se conclure avant le 1er juillet 2016. Mais « Dans tous les cas, les accords doivent impérativement laisser aux entreprises un délai de 18 mois afin de leur permettre de se conformer aux nouvelles obligations conventionnelles ». Pour le patron qui voudra traîner les pieds, ça lui donne jusqu’à janvier 2018...
Pour que ces droits deviennent « portables », c’est-à-dire pour que le salarié conserve sa couverture au travers des aléas de sa vie professionnelle (changement d’entreprise, chômage), sera négocié un « système de mutualisation du financement du maintien des garanties de couverture de frais de santé ». En cas d’échec de cette négociation après le 1er juillet 2016, l’ANI prévoit la mise en place d’une couverture minimum [1]. L’accord précise que cette couverture minimum est limitée au « seul salarié ». En clair, s’il a une femme, des enfants, ceux-ci ne sont pas concernés par ce « minimum ».

Mais pas pour tout le monde !

Une fois les accords signés, le « système de mutualisation » négocié et mis en place, le maintien des droits à la couverture santé pour le chômeur passerait de neuf mois à un an. Quelle « portabilité » pour les 40 % de chômeurs qui sont au chômage depuis plus d’un an [2] ?
Quid des salariés précaires (intérim, CDD) ? Ce sont les futures négociations qui, entreprise par entreprise, définiront quels sont les salariés couverts. Souhaitons bonne chance aux précaires.
Qui des retraités ? La loi prévoit bien que la complémentaire d’entreprise doit offrir au salarié qui part à la retraite le maintien de sa couverture santé pour un coût qui ne peut pas augmenter de plus de 50 % par rapport à ce qu’il avait à payer quand il était en activité. Mais plus de la moitié des salariés ignorent qu’ils pourront continuer à bénéficier de cette couverture santé après leur départ en retraite [3]. Et parmi ceux qui le savent, une augmentation de 50 % de la prime à verser, alors que la retraite est inférieure au salaire, est souvent dissuasive.

Et pourtant la couverture « générale » et « portable » existe déjà

Et pourtant il existe déjà une couverture « générale » et « portable », dans laquelle les « systèmes de mutualisation du financement du maintien des garanties » ne sont pas à négocier car ils sont en place et fonctionnent.
Il existe déjà un système qui couvre les chômeurs, même ceux dont la durée de chômage est supérieure à un an, un système qui couvre les précaires, et les enfants des précaires, et les retraités... Ce système, c’est la couverture de base de l’Assurance maladie.
Si aujourd’hui il est indispensable de bénéficier d’une couverture complémentaire pour accéder aux soins, c’est parce que la couverture apportée par le régime de base s’est réduite [4], en particulier en médecine de ville.
Donc si vous voulez (réellement) faire du droit à la couverture maladie un droit « portable », qui se maintient au travers des aléas de la vie professionnelle (changement d’entreprise, précarité, chômage...), il y a un moyen simple : restaurez (mieux, augmentez) le niveau de la couverture maladie de base. Ce sera plus simple que l’usine à gaz que met en place l’Accord du 11 janvier.

La couverture complémentaire est inégalitaire

Aujourd’hui, les « complémentaires santé collective » sont fortement inégalitaires. Les couvertures apportées par les grandes entreprises sont beaucoup plus protectrices que celles apportées par les petites entreprises. En « généralisant », vous allez faire disparaître cet écart ? Comment ? En proposant que l’État « encadre » ces couvertures ? Pourquoi demander à l’État d’encadrer des couvertures inégalitaires gérées par d’autres plutôt que de lui demander d’augmenter le niveau de la couverture égalitaire qu’il devrait gérer pour tous ? Ah oui, mais la « couverture complémentaire santé collective » coûte moins cher à la collectivité ? Pour que cette forme de couverture se développe, elle bénéficie d’exonérations de charges sociales [5]. En gros, pour favoriser la mise en place de couvertures particulières (très particulières quand il s’agit d’une couverture d’entreprise), l’État dispense ceux (entreprises et salariés) qui vont bénéficier de cette couverture de participer à la solidarité collective. La « couverture complémentaire santé collective » conduit donc à une diminution des recettes pour la solidarité collective. Et les signataires de l’ANI sont si persuadés de l’importance de ces exonérations qu’ils l’ont écrit dans leur accord : « Les partenaires sociaux demandent aux pouvoirs publics à être consultés préalablement à tout projet d’évolution des conditions d’exonérations sociales [...] En cas de modification de ces conditions d’exonérations sociales, les parties signataires du présent accord conviennent de réexaminer ensemble les dispositions du présent article ».

Aucun syndicat n’a défendu le régime de base

Terminons par une note triste. La CFDT signe parce que « cette généralisation de la complémentaire santé est une des avancées majeures de l’accord ». La CGT ne signe pas parce que « les salariés des entreprises de moins de cinquante risquent de ne pas être couverts par un accord collectif santé ». Mais aucun syndicat ne défend l’idée qu’il vaudrait mieux développer le régime de base que bricoler des complémentaires d’entreprise...


Encart 1
Quand le patronat a quelque chose à vendre au patronat
Aujourd’hui, la couverture par une « complémentaire santé collective » est directement liée à la taille de l’entreprise. Plus des deux tiers des entreprises de moins de dix salariés et plus de la moitié des entreprises de moins de cinquante salariés ne proposent aucune couverture « complémentaire santé collective ». Alors que plus de 90 % des entreprises de plus de deux cent cinquante en proposent une [6].
Le « généralisation », cela veut donc dire que les PME (une partie du patronat) vont devoir acheter de la « complémentaire santé collective » aux assureurs (une autre partie du patronat). Les PME auraient bien aimé pouvoir réaliser cet achat de façon groupé. En renforçant ainsi leur pouvoir de négociation face des sociétés d’assurance puissantes. Mais les assureurs dominent le MEDEF et l’ANI prévoit que « les partenaires sociaux de la branche laisseront aux entreprises la liberté de retenir le ou les organismes assureurs de leur choix » avec « procédure transparente de mise en concurrence ». Quand un accord social qui porte, en partie, sur la « sécurisation de l’emploi » est utilisé par une partie du patronat pour se nourrir sur une autre partie du patronat, on est dans la poésie pure.


Encart 2
Une négociation globale
L’Accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 ne porte pas principalement sur la couverture santé. C’est un accord plus large « Pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés ». D’où sort une négociation là-dessus ?
Il y a un pays qui fait rêver : le Danemark. Le Danemark est le pays d’Europe dans lequel la durée de présence dans un entreprise est la plus brève (on change souvent d’entreprise au Danemark) et dans lequel le niveau de chômage est un des plus bas d’Europe. C’est le pays de la « flexisécurité » [7].
Comment « importer » en France la « flexisécurité » ? En jetant pas dessus bord, comme souvent dans ce genre de tentative d’imiter un autre pays, pas mal d’éléments de contexte. En particulier le fait que le Danemark est un des pays d’Europe où le niveau d’indemnisation du chômage est le plus généreux, un pays où sont réellement offertes (un peu imposées) aux chômeurs des formations professionnelles de qualité, un pays où le nombre de personnes accompagnant (encadrant) les chômeurs est sans comparaison avec ce qui existe à Pôle Emploi...
Et puis si la « flexisécurité » existe au Danemark, c’est parce qu’elle a été négociée. Donc négocions. Et là aussi, on « oublie » un point important. En Europe du Nord, la négociation c’est entre une organisation patronale et une organisation syndicale. Le paritarisme là-bas, c’est un compromis obligatoire. Ici le paritarisme, c’est le patronat qui cherche l’organisation syndicale qui voudra bien signer... Mais on sait comment diminuer les effets pervers de l’éclatement syndical français : faire dépendre l’accord d’une signature majoritaire. Et les signataires de l’ANI connaissent si bien les avantages de la « signature majoritaire » que cette modalité figure dans plusieurs points de l’accord. Mais pour l’ANI lui-même, la signature n’est pas majoritaire. Les signataires (CFDT, CFTC, CGC) pesaient 38,7 % aux dernières élections prud’homales tandis que les non signataires (CGT, FO) pesaient 49,8 % à ces mêmes élections.
L’idée de passer à des rapports sociaux organisés par la négociation et le compromis est sans doute une idée intéressante. Y passer en bricolant des trucs inégalitaires qui ne marcheront pas, puis tenter de faire croire que ces bricolages sont validés par une signature minoritaire est une démarche débile.


Pratiques N°61, mai 2013

Documents joints


[1« Un panier de soins défini comme suit : 100 % de la base de remboursement des consultations, actes techniques et pharmacie en ville et à l’hôpital, le forfait journalier hospitalier, 125 % de la base de remboursement des prothèses dentaires et un forfait optique de 100 euros par an. »

[2« Demandeurs d’emploi inscrits... en novembre 2012 ». Dares indicateurs, décembre 2012. http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/PIMensuelle-Lvq132-2.pdf

[3« Panorama de la complémentaire santé collective en France en 2009... » Irdes, Questions d’économie de la santé, n° 181, nov 2012. www.irdes.fr/Publications/2012/Qes181.pdf

[4Ou a depuis très longtemps été très mauvaise, c’est le cas du dentaire

[5Les cotisations, salariales et patronales, qui financent la couverture d’entreprise sont exonérées de cotisations sociales.

[6Panorama de la complémentaire santé collective en France en 2009 et opinions des salariés sur le dispositif. Irdes, Questions d’économie de la santé, n° 181, nov 2012. www.irdes.fr/Publications/2012/Qes181.pdf

[7On dit aussi « flexsécurité ».


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