Présenté par Lanja Andriantsehenoharinala
Médecin généraliste
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- La Sociale !,
- Gilles Perret, à Perpignan
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Un mardi soir, à Perpignan, la Ligue des droits de l’Homme a organisé en avant-première la projection du film La Sociale ! de Gilles Perret suivie d’un débat. Je pensais que la salle 1 – la plus grande – serait de trop, mais à ma grande surprise, il a fallu carrément ouvrir la salle 2. En disant bonjour à deux ou trois têtes connues, on me dit que le directeur de la CPAM locale a payé des places à certains employés. Il y a aussi les militants du cru, des habitués en somme. Et d’autres.
Le film retrace la naissance de la Sécurité sociale après la 2e Guerre mondiale à travers l’évocation vibrante d’Ambroise Croizat, ministre du Travail communiste ; et aussi certains aspects de son évolution, expliqués par des intervenants aussi variés que Frédéric Pierru – sociologue [1] –, Colette Bec – sociologue également [2] –, ou Anne Gervais – médecin hépatologue [3]. Le film bénéficie du regard de Jolfred Frégonara [4], 96 ans, cadre pionnier de la mise en place des premières caisses, qui témoigne de la dimension politique avec une verve et une malice intactes.
Michel et moi avions prévu de fermer le cabinet médical plus tôt pour aller à la projection et au débat avec le réalisateur. Des amis militants nous avaient dit aussi qu’ils viendraient. Et puis finalement, non, ils ne sont pas venus. Liberto ne voulait pas s’énerver sur sa chaise ! Il insiste souvent sur le fait que la Sécurité sociale est une concession du patronat aux travailleurs pour éviter une révolte éventuellement armée parce qu’il allait leur demander des efforts colossaux de reconstruction, plutôt qu’une réelle victoire du mouvement ouvrier au terme d’une lutte de classes.
Dans la salle, après le film, les avis sont enthousiastes. Personne ne soulève cette divergence sur la naissance de la Sécu, cette vieille dame. On en est là : le détricotage de la protection sociale et sa privatisation rampante sont tellement avancés que le principal reste de sauver les meubles, essayer de toucher les gens pour qu’ils se penchent un peu sur le lit de la malade.
Pourtant, la politique, c’est important. Colette Bec dit d’ailleurs dans le film que la dimension politique de la Sécu est progressivement marginalisée au profit de l’économique. Une marginalisation qui empêche de penser une réelle transformation ou de fédérer des gens pour le faire.
Stéphanie, qui travaille à la CPAM, sera la seule employée à prendre le micro et intervenir ; normal, elle a payé son ticket elle-même. Elle trouve dommage que le film fasse une part belle aux élèves de l’école des cadres de la Sécu (EN3S), alors que ce sont eux qui se chargent de casser la baraque. Ils sont très propres sur eux, bien jeunes et toutes leurs dents. Ils sont émus de l’évocation historique de la Sécu par l’ancien, Jolfred, syndicaliste à la CGT. Leur école (au 27 de la rue des docteurs Charcot à Saint-Étienne) est juste à côté de la délégation entreprises Malakoff Médéric (sise au 33).
Et les gens dans tout ça ? Les patients, les quidams ? Qu’est-ce qu’ils veulent faire de la Sécu ? On pourrait tous reprendre le contrôle, entrer dans les locaux un jour et dire : « Eh bien, c’est à nous, on va le faire ». Ça serait bien sûr « insupportable » pour la classe dirigeante, comme dit Bernard Friot dans le film, parce que ce qui gêne, ce n’est pas de filer du pognon, c’est de perdre le pouvoir.