L’Utopie, c’est pour hier ?

Anne Perraut Soliveres
Cadre supérieur infirmier, praticien-chercheure

L’utopie, c’est comme le bonheur, ça semble inaccessible bien que ce soit là, à portée de main, où il y a toujours un petit quelque chose qui l’empêche d’advenir. Je veux parler de « mes » utopies, celles qui me font lever le matin, celles que j’ai choisi de cultiver pour pouvoir avancer, celles qui sont toujours là, tapies au plus profond de mes envies et qui bougent au gré de mes propres illusions ou désillusions. C’est donc une affaire très personnelle, l’utopie, même si on en partage parfois quelques bribes avec d’autres. Ainsi, pour les miennes, c’est moi qui décide ce qu’elles valent, qui juge comment elles peuvent avancer ou reculer à l’aune de mes propres balancements. Je ne rêve pas d’une espèce de monde idéal auquel il m’est impossible de croire, ni je n’espère de grand soir où enfin nous aurions trouvé le mode de vivre ensemble qui conviendrait à tous. Beaucoup plus modestement, dans mon métier de cadre infirmière, j’aspirais à favoriser de meilleures relations entre les personnes, celles qui soignent et celles qui sont soignées afin que chacun y trouve son compte (et moi aussi). Lorsque je me faisais traiter d’utopiste, c’était une manière de me disqualifier, voire, lorsque je défendais le besoin de temps de rencontres entre soignants, entre patients et soignants, voire lorsque je réclamais du temps pour penser... je m’entendais dire : « Tu n’en as pas marre de nager à contre-courant ? », ce qui me confortait invariablement dans mes convictions. Si le niveau de nos engagements est instable, mouvant, les utopies d’hier, faute d’avoir été réalisées, doivent s’aménager en permanence pour se remobiliser. Ainsi, une partie de mes utopies d’aujourd’hui repose sur le regret de situations passées (pourtant imparfaites...) mais ô combien préférables au désarroi d’aujourd’hui. C’est dire à quel point l’utopie peut être modulable, mais aussi combien ce que nous avons perdu d’humanité, faute d’avoir su la défendre face aux prédateurs, peut déjà cruellement nous manquer.


par Anne Perraut Soliveres, Pratiques N°72, janvier 2016

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