Marianne T.
Apprentie en pâtisserie
Samedi 5 h 53 : Je franchis « l’entrée des artistes » (ici, je dis l’entrée des artistes pour désigner l’entrée du personnel) d’une pâtisserie parisienne très renommée. J’ouvre mon casier, sors la blouse qui se déplie dans un nuage de farine. Vite, j’enfile le pantalon, le tablier.
6 h 00 : Je salue mes collègues, Jean, Boubou, Satokosan qui me répondent. Je dis bonjour au chef, qui jette un regard à l’horloge du labo, me dévisage à peine et se remet sans rien dire sur sa pièce montée de macarons.
8 h 00 : Les trois cent cinquante carrés de pâte ont été abaissés, détaillés, piqués, placés, foncés dans les trois cent cinquante moules préalablement lavés, séchés, beurrés. Les tartes ont été garnies, les fruits coupés, les bacs nettoyés, les pesées de la crème pâtissière sont prêtes. Je mets le lait à chauffer, et tout à coup : « Va ramener la brioch q’ya o surgèle. » « Oui, Chef. ». Je m’exécute. J’arrive enfin à tirer le « bac Brioche » du bas de la pile de bacs entassés à l’intérieur du surgélateur industriel, mes doigts brûlent au contact avec la plaque à - 28 °C et restent collés. Je les passerai sous l’eau froide une fois que j’aurai amené les douze kilos de brioche à l’autre bout du labo, sur la table du Chef. Ne surtout pas oublier le lait sur le feu : s’il déborde, j’aurai le droit de peler et couper les quinze kilos de coings en fin de journée. Et puis tant pis si je saute encore un repas, couscous en conserve, par boîtes de deux kilos à déglutir debout ou assis sur le plan de travail ou encore dans le vestiaire/réfectoire. Le soleil, je le verrai après-demain, mon jour de repos. Ça m’apprendra à être plus rapide. Je ne vais pas assez vite, je ne suis pas encore assez rentable pour cette boutique qui vend pourtant si cher ses pâtisseries. Heureusement, il y a Satoko, qui d’une voix tendre m’encourage, et me conseille de me chronométrer.
18 h 00 : Je remplis ma feuille de présence : « Arrivée : 6 h 00, sortie : 14 h 00 », je coche la case « pause repas d’une heure prise », je signe.
C’est ce qui est marqué sur mon contrat d’apprentissage à 800 euros par mois. Il ne faudrait pas que l’inspecteur du travail soit perdu avec tellement d’horaires différents, m’a-t-on fait comprendre... Demain, mon but sera d’avoir fini les trois cent cinquante fonds de tarte en vingt minutes.