Jacqueline Gueux, sculptrice et Gilles Fournet, photographe

Philippe Bazin
Photographe

Après des décennies de sculptures, d’installations, de dessin, de vidéos, etc., Jacqueline Gueux, à cause d’un déménagement de toutes ses œuvres, revisite ses sculptures réalisées dans les années soixante. Elle sortait alors de l’atelier d’Étienne Martin aux Beaux-arts de Paris. Et ce retour sur pièces passe par la photographie et le corps. La performance. La danse, presque.
Si Jacqueline Gueux n’est pas connue du grand public, parfois pas plus que par certains spécialistes, c’est sans doute que son nom l’incita toute sa vie durant à la plus grande modestie. Elle consacra en revanche une énorme énergie à transmettre ce qu’elle avait reçu et expérimenté à ses étudiants. Elle consacra une autre énorme énergie à faire connaître les œuvres d’une multitude d’artistes, certains tout jeunes sortis d’une école d’art, d’autres déjà connus voire célèbres.
Maintenant, depuis son atelier en Anjou, elle met toute son énergie, qui est immense, à reconsidérer son travail passé, ce qui donne un ensemble de photographies d’une fraîcheur et d’une intelligence inégalées. Jacqueline Gueux est en pleine conversation avec son double posé sur un socle de transport, encore emballé sous papier bulle, ou alors déjà à nu sur le sol. Son travail procède d’une véritable clinique, non seulement par les habits blancs qu’elle endosse, mais surtout par l’esprit d’analyse que ses poses révèlent : c’est avec la plus grande ironie qu’elle redouble les poses qu’elle inventait pour ses sculptures, semblant à la poursuite d’une forme qui la fuit. Sans doute se demande-t-elle comment elle a pu produire un tel registre de matières et d’aspérités pour un bestiaire on ne peut plus domestique.
Jacqueline Gueux prend soin de son travail, elle le scrute encore, elle l’analyse en se livrant au regard aérien de l’opérateur. Elle semble alors jetée par terre, se roulant de rire, en convulsions burlesques inattendues.
Ainsi, dans ces photographies, le soin est-il indirectement questionné. Tout d’abord, l’espace blanc, la blancheur, dans le costume de l’artiste et le plâtre, renvoient à la question de l’hygiène, de la propreté, de l’asepsie telles que la société médicale les a conçues depuis des années. Alors qu’autrefois la blouse blanche était portée pour révéler rapidement les sanies, cette « couleur » s’est imposée comme un idéal symbolique de la propreté, débordant largement le monde médical et montrant combien nous aspirons à un monde stérile.
De plus, la situation même de la photographie de couverture invite à penser à un dialogue intersubjectif. Or, l’une des deux « personnes » est un objet : cela met en jeu la question d’une relation médicale où le patient est renvoyé à un statut d’objet du soin. Pourtant, il ne s’agit pas d’un objet ordinaire ici, mais d’un objet hautement symbolique, une sculpture dont nous savons combien notre société en respecte la valeur idéelle. D’où une tension, entre objet à haute valeur ajoutée, et pourtant objet : par métonymie, la photographie présentée ici en couverture interroge cette relation toute d’attention et pourtant anti-humaine que peut parfois être dans le soin la relation soignant-soigné.
Enfin, dans cette image, il est aussi question d’une relation intersubjective où le modèle, le « patient », semble fuir l’artiste « soignant », détourner son regard, éviter le corps à corps, signifiant peut-être un refus de cette supposée relation objectalisée. Si l’œuvre de Jacqueline Gueux n’a pas été conçue pour cette interprétation, les données mêmes de l’image la permettent, dans la mesure où l’artiste rend un nouveau soin à son œuvre.

Les photographies de Jacqueline Gueux sont réalisées par Gilles Fournet et présentées en mai 2017 au Musée Matisse au Cateau-Cambrésis dans le Nord.


par Philippe Bazin, Pratiques N°78, juillet 2017

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