Autodidacte par nécessité car orphelin très tôt en Algérie, c’est un intellectuel qui s’ignore. Il vit dans une cité, a dû cesser le travail à cause de ses problèmes de santé, aujourd’hui à la retraite, il élève encore trois enfants adolescents. Le samedi, il m’aide à ouvrir les volets du cabinet, m’emprunte Politis ou le Courrier international, est ravi quand je lui prête le dernier numéro du Monde diplo. Il discute de football avec le secrétaire, puis m’expose la façon dont il gère ses médicaments. Il a un traitement lourd, après trente ans de diabète, il a déjà fait plusieurs infarctus et est traité par laser pour les rétines. « Pour le diabète, je maîtrise, je sais très bien quand j’ai besoin d’insuline, je ne l’utilise pas quand je sais que je vais beaucoup marcher. » En pratique, il est capable de me prédire son hémoglobine glyquée à la virgule près. « Mais pour le cœur, c’est plus compliqué, comme j’ai quatre médicaments pour la tension, et deux pour les artères, je dois en arrêter un à la fois pour voir à quoi ils servent. Ceux-ci (le bêtabloquant et le vasodilatateur), j’ai bien compris que si je ne les prends pas, je ne suis pas bien, j’ai mal dans la poitrine. » Quand je lui fais remarquer qu’il vit dangereusement, il me répond en riant : « Si je dois mourir, c’est n’est pas si grave, c’est notre lot à tous. » Je lui rappelle qu’il a encore des enfants à élever et lui demande s’il raconte ses expériences à la cardiologue. « Non, elle, son travail c’est de me proposer un traitement, après c’est moi qui le prends et il faut que je comprenne comment ça marche ». On cause encore, je l’examine et lui renouvelle son ordonnance à rallonge. On se donne rendez-vous pour continuer la conversation : « Inch Allah, si je suis toujours là, car souvenez-vous que nous sommes tous mortels… »
N°68 - février 2015