La règle, c’est la règle, non ?
Joseph a un pied dans une classe, un pied dans l’autre, il est en grande section-CP désenclavé. Il comprend vite, apprend vite, alors il aimerait passer à autre chose, mais, dans l’attente, il a du mal à rester en place, longtemps.
La maîtresse constate qu’il a besoin de se dépenser physiquement, qu’il a encore besoin de jouer, un peu plus que ses autres camarades de classe.
Elle lui propose donc parfois d’aller jouer dehors dans la cour pendant que la classe continue. Mais il refuse. Il veut rester dans la classe.
D’habitude, quand la maîtresse dit à un enfant de sortir de la classe, c’est parce qu’il ne s’est pas bien conduit, non ?
Il faut savoir lire avant Noël
Bernard entre en CP. Il parle bien, connaît beaucoup de choses déjà, la maîtresse le repère, celui-là va bien avancer, il saura lire avant noël.
Mais Bernard s’ennuie en classe. Il m’explique. Le matin on fait la pomme : il y a la peau, la chair, les pépins. En fin de matinée, on refait la pomme, même présentation, en fin d’après-midi on refait la pomme ! Si je demande ce qu’il y a dans les pépins, à quoi ils servent, la maîtrise me répond que je verrai ça plus tard, dans une classe supérieure…
À la Toussaint, ça ne s’arrange pas, Bernard ne lit pas et la maîtresse, dépitée, le voit maintenant mal parti. Elle me dit de prendre un rendez-vous au CMP.
Je m’y rends avec mon fils, nous rencontrons un médecin qui considère qu’il n’y a pas à s’inquiéter, mais me propose de rencontrer la psychologue.
Quelque temps plus tard, mon fils et moi sommes dans la salle d’attente, une dame nous appelle : la psychologue. Elle me dit, avant même que nous soyons entrés dans son cabinet : « Madame, si votre fils ne progresse pas à l’école c’est parce que vous lui dites que vous n’aimez pas l’école ». Je suis interdite. « Comment pouvez-vous me dire ça alors que nous ne nous sommes pas encore rencontrées ? » Elle me dira, à la fin de l’entretien, que mon enfant redoublera, triplera son CP, et finira bien par apprendre à lire… L’institutrice, elle, pensera qu’il n’apprendra jamais à lire. Moi qui défendais l’école laïque, gratuite et obligatoire, je vais, pour l’année suivante, inscrire mon fils dans une école « nouvelle », par chance assez proche de la maison ! Là, il entrera en CE1, même s’il « ne lit pas ». Il bénéficiera, avec quelques autres camarades, de moments à part, au cours desquels une autre institutrice leur proposera des activités liées à différentes méthodes d’apprentissage de la lecture, un suivi personnalisé. L’été suivant, après le CE1, mon fils ira prendre un livre dans la bibliothèque du village où nous passons nos vacances. Au bout d’une heure, il m’annoncera qu’il a lu le livre en entier… Lorsque, des années plus tard, je croise dans la rue son institutrice de CP, elle ne peut pas entendre que mon fils savait lire et était devenu un grand lecteur. « Je ne peux pas vous croire, c’est impossible ! »