Delphine Glachant, psychiatre de secteur, Landerneau
Fin septembre 2018 se tenait à l’AGECA, Paris 11e, la première réunion du mouvement qui allait devenir le Printemps de la psychiatrie.
L’Union syndicale de la psychiatrie (USP) écrivait à un certain nombre d’organisations et personnalités du champ de la psychiatrie (Collectif des 39, Humapsy, CGT santé, SUD Santé sociaux, l’Appel des appels, SERPSY, UTOPSY, Le Fil Conducteur psy…) et lançait un appel pour des états généraux de la folie :
La psychiatrie est aujourd’hui exsangue dans ses moyens de fonctionnement et dans sa finalité de service public avec :
- le maintien et l’aggravation d’une psychiatrie sécuritaire,
- la désespérance des professionnels et des usagers devant la disparition progressive des moyens alloués au service public de psychiatrie,
- la fin du secteur de psychiatrie généraliste qui devient optionnel et déterminé hors des équipes de soin,
- le scientisme dominant les représentations de la souffrance humaine.
Nous avons gardé quelques acquis des tentatives des États généraux de 2003 à Montpellier, même s’ils connurent un succès sans lendemain ; il y eut aussi les « Assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social à Villejuif de 2013 ».
Mais c’est une autre période qui est ouverte avec une crise accélérée de la santé, de ses institutions, et la crise de la psychiatrie au premier plan.
Il y a urgence à nous mobiliser, plus que jamais, pour refonder une psychiatrie humaine.
C’est à partir des expériences de terrain, dans les collectifs de soin et les structures médico-sociales, que nous pouvons refonder ensemble la psychiatrie et la politique de secteur en lien avec l’ensemble des acteurs de la vie sociale.
Ce sont ces inventions combatives qui vivent dans mille endroits que nous désirons faire converger.
Pour cela, nous appelons à des États généraux de la Folie.
Ceux-ci pourraient se tenir au printemps 2019 à Paris.
Dès à présent nous appelons les collectifs soignants, les sections syndicales, les associations de patients à donner vie ensemble à cette volonté, chacun avec ses propositions.
Cet appel est intervenu alors que différents mouvements de grève dure mobilisaient les soignants de la psychiatrie en 2018 : les grévistes de la faim à Rouen, les Perchés du Havre, les Pinel en lutte, la Psychiatrie Parisienne Unifiée etc. La perte de sens du métier de soignant en psychiatrie, liée au sentiment d’indignité des soins prodigués, en amenaient beaucoup à se révolter. Un député, François Ruffin, était entré dans les murs de l’hôpital psychiatrique d’Amiens. Il en avait écrit un livre pour informer les citoyens de l’abandon par les pouvoirs publics de la psychiatrie des patients et des soignants (Un député à l’hôpital psychiatrique, Fakir Ed., 2017).
Il a tout de suite été indispensable que les patients, usagers, psychiatrisés soient inclus à cette démarche en construction.
De ces réunions à l’AGECA, la dénomination Printemps de la psychiatrie est rapidement apparue, dans l’idée de construire une journée de grands débats et d’actions au printemps 2019. Ce Printemps témoignait aussi de notre désir de renaissance.
Deux manifestations importantes ont eu lieu en 2019 à Paris, le 23 janvier sous la neige et le 21 mars sous le soleil. Des grands moments fédérateurs.
Les réunions mensuelles, qui se sont rapidement tenues à la Bourse du travail, nous ont permis de nous rencontrer, de débattre, de partager, d’imaginer et donner l’allant à des réunions locales ou régionales, d’organiser des évènements, de participer à des manifestations sur la santé, de rejoindre des professionnels en souffrance du social et du médico-social, de soutenir des soignants poursuivis en conseil de discipline, de soutenir les mouvements de psychologues en lutte contre des projets scélérats touchant leur profession ou les enfants en soins, aller à la rencontre des élus…
Le Collectif inter urgences (CIU) et le Collectif inter hôpitaux (CIH), animés par la révolte, étaient aussi très actifs à nos côtés.
Après la manifestation de la santé du 16 novembre 2019, mémorable par une mobilisation jamais vue, la grande Assemblée générale du Printemps du 30 novembre 2019, a permis de croiser les récits de souffrances de patients et de soignants. La volonté forte de porter une psychiatrie à dimension humaine nous a menés, malgré la crise du Covid et l’impossibilité de se retrouver dans le réel, jusqu’à l’organisation des premières Assises citoyennes du soin psychique en mars 2022 à la Bourse du travail.
Cette première édition a permis l’expression du constat de ce qui était très abîmé, mais aussi de ce qui restait vivant.
De cette première partie de l’histoire, je peux témoigner de l’effervescence qui habitait le Printemps de la psychiatrie, de l’envie de construire un mouvement qui renverserait l’évolution délétère des soins en psychiatrie, discipline très abîmée par des années de dotations insuffisantes et par des formations de professionnels au rabais. Ces réunions permettaient aussi un partage de points de vue, une liberté de s’exprimer et s’adresser à l’autre, celui qu’on ne se représentait pas toujours comme un être humain à part entière. La psychiatrie était prise en tenaille par des psychiatres universitaires se réclamant des neurosciences, passant à la trappe l’histoire, le secteur et tous les patients ordinaires.
Je n’ai eu de cesse, car j’y voyais là l’essentiel, de mettre en lien tous ceux qui dans leur coin dépérissaient, honteux de leur travail, et dans l’objectif de redonner de la confiance aux patients.
La présence d’un certain nombre de patients, reliés à des associations pour la plupart, était intéressante car elle obligeait les soignants à sortir de leurs idées toutes faites et parfois surplombantes.
Une chose m’est apparue malheureusement bien avant les premières Assises : les infirmiers, les aides-soignants, ceux qui avaient fait les grèves de 2018, qui avaient mouillé la chemise, n’étaient pas ou peu du mouvement. Seuls les syndicats, avec leur représentant respectif, les représentaient.
Parmi les professionnels, les psychiatres et les psychos, toujours prompts à prendre la parole, écrasaient les échanges et s’écartaient de points essentiels que sont les impasses du quotidien dans les soins.
Les premières assises de 2022 ont malgré tout attiré beaucoup de monde, après une préparation longue et intense, avec des réunions hebdomadaires pendant six mois. Que de dimanches après-midi à se parler et peaufiner les choses ! Clairement, la fonction de holding était l’aspect le plus important de ces Assises.
Les suites ont été difficiles. Sans doute étions-nous fatigués. Nous n’avons pas pu faire les conclusions de ses Assises et utiliser cette expérience unificatrice. Nos prises de parole et nos actions sont restées vaines pour changer le réel de la psychiatrie et du médico-social. Notre impuissance est restée grande face à des pouvoirs publics mus par des politiques néolibérales et sourds à ce qui arrivait aux petites gens, patients et soignants, aux cris de ceux qui voyaient leur service de soins disparaître, au quotidien des équipes qui petit à petit ont été laminées par les fermetures de lits, de places… Écrire – on le voit encore aujourd’hui – reste un point d’achoppement, notre faiblesse selon certains. Je ne le pense pas.
Être militant, être animé de principes, voire d’une éthique du soin, se battre pied à pied contre des colosses de métal, coûte cher sur le plan de la dynamique personnelle. Le collectif permet de soutenir ce qui ne peut pas tenir sur le plan individuel. L’existence du Printemps de la psychiatrie, non démentie dans le temps, témoigne d’une résistance invaincue.
C’est ainsi que les rencontres en visio, permettant d’inclure des personnes de tout le territoire, ont tenu le mouvement jusqu’à l’organisation de la 2e édition des Assises en mai 2024. Une nouvelle génération de combattants est arrivée.
Toujours peu d’infirmiers, encore moins, voire quasiment plus, de patients, mais des professionnels qui reprenaient le flambeau.
Le manque de mobilisation des infirmiers, aides-soignants, assistantes sociales, psychomotriciens, ergothérapeutes, etc. qui, par ailleurs, sont en première ligne dans les difficultés à soigner dans le quotidien, m’est pénible. C’est comme me couper d’une moitié. L’aliénation sociale, avec ses rapports de domination, est-elle si forte que la fraternité et l’amitié ne permettent pas de faire cause commune ? Ou est-ce la grande fatigue, voire la désespérance qui les habite, qui les prive de mots pour s’exprimer ?
Quant aux patients, ils parlent à titre individuel et j’imagine que leur expérience vécue, tellement intriquée à leur histoire propre, est difficile à dire. Ce serait mettre à nu une partie d’eux-mêmes. Et pourtant, c’est en complément de l’expérience transférentielle, plus ou moins consciente en chaque soignant, que ce vécu expérientiel, hors du cadre thérapeutique, pourra mettre en dialogue notre humanité commune.
Le chemin est sans doute long et infini tant la folie est partageable sans l’être tout à fait.
Au final, malgré ces questions sans réponse, le Printemps de la psychiatrie est toujours là.
Après une première édition qui avait fait un constat de catastrophe, mais montrait que nous étions debout, la 2e édition a montré notre ténacité dans la lutte et nous a permis de garder le poing levé.
À suivre !