Lanja Andriantsehenoharinala
Médecin généraliste
Ça doit commencer à peu près comme ça. Une fois installés au bureau de consultation, le père ou la mère demande à son enfant de traduire en français ses maux, sa douleur, depuis quand, la nuit, le jour. Ou bien les problèmes de sommeil, de cheveux qui tombent. Les enfants font ce qu’ils peuvent, je fais mon possible pour ne pas les coincer entre les mots de leurs parents exilés et mes mots de docteur qui essaye de faire préciser des symptômes. Je reformule, les parents aussi, les enfants sont un peu incrédules, quand ils ne butent pas carrément sur les termes. Je me demande comment est vécu cet « interrogatoire » que j’ai l’impression de faire subir. Les mamans abordent parfois des éléments très intimes, comme les règles. Et parfois, c’est moi qui cherche à connaître des aspects probablement gênants à demander à leurs parents : est-ce qu’il y a de la diarrhée ? Non, alors de la constipation ? Du sang ? Et comment faire pour aborder les signes qui peuvent être en rapport avec les traumatismes, l’angoisse, l’attente interminable du statut de réfugié etc. ? Ces enfants ont déjà vécu des bouleversements dont je n’ai aucune idée, de leur pays d’origine jusqu’ici. Je me dis que c’est trop injuste qu’ils·elles aient à être à cette place en face de moi, ce devrait être celle d’un·e professionnel·le de la traduction, qui serait considéré·e comme soignant·e. La préservation de la santé de ces enfants exilés devrait passer par l’exemption totale d’avoir à faire de l’interprétariat pour leurs parents, qui les expose à échanger avec d’autres adultes des informations sensibles sur ces derniers et donc à modifier, d’une manière ou d’une autre, le lien, leurs liens.