Fanny Rebuffat : Que cet infirmier dise que ce que vous, groupe Psy psy, avez créé là vient manifester, incarner, réaliser quelque chose d’une politique de secteur, est extrêmement intéressant. Ce que tu disais Lucie – des gens sont venus avec leur concrétude, on était dans des dispositions à la fois communes et singulières, on s’est sentis convoqués, on verra chemin faisant ce dont on a be-soin avec cette question de l’importance de l’extériorité –, je pense que ça vient vraiment tout à fait illustrer ce que disait Pierre Dardot de la disposition à l’altérabilité réciproque.
Serge Klop (du Parti communiste) : Je voulais revenir à la proposition de Pierre Dardot. Excuse-moi c’est la première fois que j’entends ça. J’espère que je ne vais pas trop dénaturer ce que tu as dit mais quand tu parles d’accepter d’être altéré par l’autre sans s’y dissoudre dans l’objectif de créer un mouvement, je partage complètement ce point de vue, mais je pense que, par rapport à nos As-sises, ça pose la question de comment au Printemps (de la psychiatrie) on ne va pas se contenter d’être un amalgame de personnes qui essayent de résister, mais comment au-delà on va aussi y intégrer, ou réintégrer, un certain nombre d’organisations syndicales, politiques, associatives pour pouvoir peser sur le réel de la société et pas qu’à la marge. Je pense que ce sont vraiment des en-jeux qu’il faut qu’on débatte pendant ces Assises et que surtout, ensuite, on voit comment on va effectivement élargir notre assiette.
Julia : Je suis infirmière aux hôpitaux de Saint-Maurice, autrement dit Esquirol, et membre du collectif de défense de cet hôpital, enfin collectif pour l’avenir des hôpitaux Saint-Maurice et les Murets. J’étais particulièrement intéressée par l’intervention de Pierre Dardot, et celle de Psy psy que je con-naissais déjà un peu. Ce qui me frappe en premier, c’est la question de l’échelle. Pierre Dardot a commencé par parler d’une internationale de l’extrême droite et puis après on passe à l’échelle du secteur. Waouh ! J’ai quand même envie de raconter ce qu’on fait. On a créé ce collectif il y a un an et c’est beaucoup grâce au travail du syndicat en amont qui a fait tout un travail de décortication du projet immobilier de l’établissement. Ils veulent céder la moitié des bâtiments de la psychiatrie d’Esquirol au privé lucratif pour construire des bâtiments trois fois moins grands sur un espace boisé classé. Donc décryptage du syndicat, réunion publique et création d’un collectif, un collectif qui ras-semble non seulement des soignants, mais aussi des patients, des associations, des usagers, des citoyens, des riverains et des élus, donc un « truc » [1] de composition qui est à la fois à l’intérieur et à la fois à l’extérieur, beaucoup à l’extérieur. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il n’y a plus grand monde qui s’implique aujourd’hui malheureusement et que de toute façon ce collectif ne pourrait pas survivre sans les élus, sans la population locale. Ça concerne beaucoup de villes du Val-de-Marne et trois arrondissements parisiens, donc de la population il y en a. Je pense que cette force qu’on a dans ce collectif c’est cette hétérogénéité, qu’on arrive à rassembler. J’ai envie d’insister sur le fait qu’agir au niveau local pour moi c’est aussi ça, et c’est aussi grâce au syndicat et aux élus locaux. Je voulais dire pour terminer que même si c’est super ce qu’on fait on a besoin d’argent parce qu’on a engagé des frais juridiques. On a une cagnotte ici présente, un site Internet, et si vous voulez nous soutenir même avec 5 € c’est déjà super.
Paola : Je suis psychiatre dans un petit hôpital en Dordogne, dans une ville que vous connaissez peut-être, Sarlat, et j’interviens un peu en témoignage, mais aussi pour dire ce que j’étais venue chercher ici avec les notions de résistance et de créativité. La résistance, je l’avais comprise non pas comme une résistance au pouvoir mais comme une résistance à l’extinction d’un soin, d’un accompagnement, et j’étais à la recherche d’inspiration pour de la créativité à notre petit niveau. Aussi je me retrouve assez dans ce que dit Psy psy parce que c’est ce genre d’intervention que je recherche dans notre petit secteur. Je parle d’extinction parce que prochainement, je vais me retrouver seule sur le secteur, mon collègue va partir à la retraite, et il est très difficile de retrouver psychiatre, psychologue voire infirmier, motivés pour travailler dans un certain état d’esprit. Nous avons la chance d’avoir pu créer un Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel, ce que je croyais impossible alors que j’ai travaillé juste avant à Toulouse où j’ai découvert que la psychiatrie de secteur, les prises en charge collectives, étaient devenues de plus en plus compliquées à mettre en place. Je me rends compte que dans notre secteur c’est encore possible. Mais on a un autre problème, c’est que personne ne vient. On se retrouve dans des dynamiques un peu différentes si jamais on ne trouve personne. Comment créer avec le peu de personnes ? Je ne suis pas une psychiatre universitaire, je me considère un peu comme psychiatre aventurière, je n’ai pas un panel d’internes à mes côtés pour m’épauler et donc je cherche des idées localement avec les personnes qui sont là et celles qui sont motivées.
Patiente (du secteur 4 de l’hôpital des Murets) : Je rebondis un peu sur ce qu’ont dit monsieur le philosophe, messieurs et dames les psychiatres, à savoir que ce qui est frappant en psychiatrie aujourd’hui, et pour moi qui suis malade depuis quarante ans, c’est la régression, le renforcement des inégalités territoriales. Comme vous le disiez, ce qu’ils nous font croire et ce qui est fait concrète-ment sur le terrain c’est du leurre. C’est pour ça que je suis pour trouver des alliances comme on peut, je parle notamment dans les territoires un peu éloignés. Nous on a tout le contraire en région parisienne, on n’arrive plus. Nous les malades on ne sait plus où aller. On a besoin d’être hospitalisé et on n’y arrive pas. C’est très compliqué à Paris de jouer sur ce dehors, cet effort d’altération peut-être. Il faut s’unir et avoir confiance en l’autre.
Sonia Barna (psychomotricienne en PMI) : Je vais rebondir sur ce que disait la dame avant moi, la camarade. Puisqu’on parle de régression et de vitrine dans les institutions publiques je voulais re-bondir sur les propos de Monsieur Dardot et partager avec vous ce matin quelque chose de très concret qui vient interpeller sur la question de la stratégie pour résister à l’ordre néolibéral et qui fait complètement fi des conditions sociales délétères dégradantes pour de plus en plus de gens dans notre société. Je viens d’apprendre à l’instant par les réseaux sociaux, que la PMI, ça y est c’est officiel, va passer en « maison des 1000 jours » Ce matin je suis sous le choc, clairement ce que ça veut dire c’est que les PMI deviennent des « maisons des 1000 jours », donc la tranche des 3 à 6 ans sort du champ de la PMI. Pour être en PMI depuis des années, je sais tout le travail qu’on fait pour les enfants qui sont en écart de la norme, que ça soit dans le champ de la santé psychique, mais aussi de tous les troubles du neuro-développement. On a un mal fou à accompagner ces enfants entre 3 et 6 ans et ce n’est pas tant du fait de la dimension psychique à proprement parler que de la dimension sociale et psychosociale pour leur trouver une place, pour accompagner leur inclusion. Ce sont toujours les familles les plus précaires, les plus en difficulté, qui ont besoin de la PMI sur cette tranche d’âge. On est en train de resserrer sur la vision – Michel Vanderbroeck en Belgique en parle –, de l’approche néolibérale des parents, c’est-à-dire qu’on va faire aux classes moyennes supérieures et moyennes un petit cocon avec plein de petites vidéos très sympathiques sur toutes les bonnes pratiques de maternage etc., en faisant complètement fi de la dimension sociale. Et en revanche, pour les couches populaires et précaires, donc celles qui ont le plus besoin de s’appuyer sur les services publics entre 3 et 6 ans, il ne va plus y avoir rien du tout. Je partage ma colère et mon choc avec vous et j’aimerais bien avoir votre réponse sur comment résister.
Patrick Chemla : On ne va pas avoir les réponses tout de suite, mais c’est extrêmement important qu’il y ait cette polyphonie qui puisse s’exprimer. Y a-t-il encore une question ?
Catherine Zitoun (pédopsychiatre XIXe arrondissement à Paris) : J’ai bien conscience que le temps est court. Merci pour vos interventions. Et à monsieur Dardot, c’était vraiment très intéressant, mais si c’était possible de préciser dans le concret ce qu’impliquerait cette altérabilité dans des alliances, notamment dans le champ qui me préoccupe, c’est-à-dire la pédopsychiatrie. Est-ce qu’il s’agit de dépasser nos frontières entre par exemple l’Éducation nationale, la protection de l’enfance, la pédopsychiatrie, ou est-ce qu’il s’agit de penser un portage commun ? Je sais que ça peut être long mais j’aimerais bien des éclaircissements.
Pierre Dardot : Deux minutes parce que le maître du temps à côté veille. Je crois que votre question est tout à fait centrale dans la mesure où c’était quelque chose de l’ordre du portage commun à quoi je pensais. Et puis de toute façon dans les exemples concrets, ce qui a été dit à propos de l’expérience de Psy psy me paraît tout à fait évident parce que c’est exactement ce type de maillage ou de portage qu’il faut avoir en vue. Je ne suis pas du tout de ceux qui opposent local et global. Je n’aime pas trop le global, et la formule habituelle selon laquelle il faudrait penser globalement et agir localement me paraît assez creuse. Je ne vois pas tellement ce que ça veut dire, mais en tout cas agir globalement ça ne veut rien dire. On agit nécessairement de manière locale, on agit nécessairement localement dans le cadre d’un territoire, dans le cadre des territoires, qui est plutôt un milieu de vie qu’un territoire au sens administratif. À chaque fois, en effet, c’est cette question du portage, de la façon dont on peut porter la fonction qu’on appelle justement phorique, qui me paraît le plus important. Les alliances ne doivent pas être posées de façon abstraite. C’est en fonction des gens qui sont là sur chaque endroit, chaque localité, chaque territoire, quels que soient d’ailleurs les a priori qu’on puisse avoir au début, à partir du moment où ils sont prêts à s’engager avec nous dans un effort qui relève d’une logique d’action commune. C’est ça qui me paraît absolument important et décisif, le reste c’est changeant, c’est nécessairement promis à varier, à changer, à se modifier. L’altérabilité c’est ça aussi, donc à cet égard il ne doit pas y avoir de tabou. Bien sûr qu’il a des gens avec lesquels on ne peut pas s’allier, la question ne se pose même pas, mais en revanche savoir par avance avec qui on peut s’allier, c’est une découverte à faire, ce n’est pas du tout un a priori. Souvent on est surpris, et si on est capable d’être surpris à ce moment-là on se laissera altérer, sinon non. Mais il ne faut pas avoir peur de ça tout simplement parce qu’il y a quelque chose, ce n’est pas une identité, mais c’est un rapport à son propre désir qui fait que justement on fait, on n’a pas à craindre l’altération par l’autre.