Madeleine Charru,
directrice de l’association Solagro www.solagro.org
Une approche globale et quantifiée pour ouvrir le débat : avec 80 % des terres agricoles (hors exportation) utilisés pour nourrir les animaux qui produisent la viande et le lait que nous consommons, 60 000 hectares par an retirés de l’usage agricole pour construire routes, maisons et parkings... disposerons-nous des surfaces nécessaires pour nourrir plus de 70 millions d’habitants, le bétail, fournir énergie et matériaux tout en préservant la fertilité des sols, la qualité des eaux, la biodiversité, le climat ?
C’est pour répondre à cette question ou du moins poser les termes du débat que Solagro (voir encadré) travaille à la construction d’un scénario agricole et alimentaire durable, crédible, et quantifié physiquement pour la France : Afterres2050 [1]. Premiers résultats : une conduite pour moitié en agriculture biologique et pour moitié en agriculture intégrée [2] répond aux exigences environnementales (à l’exception des émissions de gaz à effet de serre qu’il s’avère difficile de diviser par quatre), peut nourrir la France et quelques voisins... en évitant de déstructurer d’autres agricultures du monde. Mais notre assiette et le paysage agricole sont bien différents.
Alimentation : un nécessaire changement de régime
L’application des principes de sobriété et d’efficacité que nous partageons avec le scénario négaWatt nous conduisent à proposer :
— La division par deux des pertes de produits consommables qui sont aujourd’hui de 190 kilos par personne et par an dont 110 kilos « à l’assiette » ou « à la cuisine », soit sous la responsabilité du consommateur final.
— La réduction à 10 % des 70 % de surconsommation observés, par rapport aux besoins, pour les protéines et des 50 % observés pour le sucre.
— La satisfaction des besoins en protéines avec un tiers de protéines animales (viande et lait) et deux tiers de protéines végétales, soit l’inverse de la situation actuelle, ce qui revient à diviser par deux notre consommation de viande et de lait.
Qu’en pensent les spécialistes ?
Nos recherches bibliographiques indiquent que, si les besoins de 75 à 120 mg par kilo et par jour de protéines doivent être satisfaits, rien ne s’oppose à la substitution partielle de protéines animales par des protéines végétales. La division par deux de la consommation de viande permet, a priori, de préserver les apports en acides aminés et autres nutriments essentiels, ainsi que les habitudes culturelles. La question du lait est plus difficile à trancher, en effet les ANC (apports nutritionnels conseillés) en calcium sont de 900 mg par jour pour un adulte et un régime sans produits laitiers ne peut pas en fournir plus de 500 mg. 400 mg devraient donc être fournis par le lait.
De nombreuses controverses existent sur le niveau fixé des apports en calcium (lire l’article de Thierry Souccar). Plusieurs travaux précisent qu’un régime moins riche en protéines animales nécessite un apport moindre en calcium du fait des « fuites » évitées.
Dans l’attente de certitudes, nous avons fixé l’apport du calcium par le lait à 200 mg par jour et par personne, soit un à deux produits laitiers par jour plutôt que les trois très médiatiquement recommandés par le PNNS [3].
En jeu, 5 à 8 millions d’hectares « libérés » pour d’autres productions et, sauf avis contraire, un meilleur équilibre nutritionnel.