Doujeparledekiaki

Philippe Gasser, psychiatre Mixte du Gard, P.H.T.P.-C.M.P. Anduze, HDJ St Hippolyte du Fort, Exercice Privé à Uzès (30)

De la difficulté du partage confraternel chez l’homo Psychiatricus.

« Cher(e) Collègue, je vous remercie de m’avoir adressé votre patiente qui présente à l’évidence un épisode dysthymique avec désorganisation de la pensée et vésanisation du délire dans le contexte de la schizophrénie héboïdophrénique dont elle est atteinte, et dont la kretschmérisation rend désormais difficile le colloque singulier… »

« Cher(e) Confrère, je vous remercie des précisions que vous avez enfin voulu m’apporter concernant Madame Emma Boulle. J’ai cru comprendre que cette patiente, dont je vous informe du récent décès il y a trois mois, présentait un état proche de la Folie, si j’en juge par votre rapport clinique… Mais comment expliquer la Folie ?… »

De quiproquos en incompréhensions, d’ambiguïtés en ambivalences, de non-réponses en réponses différées ou délayées, les médecins spécialistes en psychiatrie semblent souvent contrarier leurs confrères dits « généralistes » !
Arc-boutés entre leur réputation de « sachants » (sachems ?) muets, et leur désir proclamé de relation à travers des pratiques supposées de « liaison », les psychiatres se retrouvent souvent bien seuls dans ce singulier colloque thérapeutique difficilement partageable avec autrui, fut-ce un semblable congénère.
À l’heure du D.M.P., de l’informatique qui peut décider (sous les doigts du « manipulateur » cependant) quel secret ne doit plus le demeurer pour se partager (…avec qui ?), la préservation de la relation transférentielle ne peut plus tout expliquer, du difficile dialogue entre généraliste et spécialiste.

L’ambivalence est partagée : la plupart des généralistes reconnaissent qu’une grande partie de leur patientèle présente des troubles psychiques, réactionnels ou plus chroniques, mais ils répugnent souvent à adresser ces patients au psychiatre, soit par crainte de l’annonce de cette indication taboue, soit par méconnaissance des labyrinthiques et multiples protocoles d’entrée dans les soins psychiques (entretien infirmier préalable au C.M.P., absence d’accès direct au psychologue, difficultés rédactionnelles des certificats de soins sous contrainte etc.), ou pour des raisons plus narcissiques : « clientélisme » (peur de la perte, de la « capture » du patient), « confrontation » et revendication des savoirs, pour une spécialité dont les traitements médicamenteux spécifiques (psychotropes) sont plus massivement prescrits par les généralistes que par les spécialistes…
Mais les psychiatres eux-mêmes ne sont pas de grands communicants : entre eux tout d’abord, et nous connaissons bien nombre de C.M.P. ou de services où les secrétaires jouent le rôle de tiers, sinon de « go-beetween », pour des « collègues » dont les ego s’évitent soigneusement pour des motifs de savoir, de pouvoir… et d’intolérance à la différence ! Quand ce n’est le psychiatre dit « libéral » qui trouve inconvenant, sinon indécent, de « trahir » l’intime d’un sujet en souffrance venu se confier à lui… lui demandant parfois, c’est vrai, que nul n’en sache rien, ni parmi ses proches ni dans son entourage médical…

La psychiatrie de liaison ne s’autoproclame pas, et le lien ne se tisse pas au travers de quelques épisodiques coups de téléphone qui, souvent à juste raison, font dire à l’honorable généraliste « correspondant » qu’on le traite « comme la 5e roue de la charrette » (psychique ?) et que les psychiatres ne font appel à lui qu’en cas d’ultime et pressant besoin, sans jamais alimenter par ailleurs un échange parfois grevé par le caractère quelque peu abscons du discours clinique…

Comment s’entendre ?… surtout lorsque nos Hautes Autorités et notre ministre (qui, depuis longtemps n’écoute plus personne, sinon les voix naufrageuses des sirènes de l’économie de marché – c’est grave docteur ces hallus ? –) nous assènent de paradoxales injonctions, dans l’indication désormais prévalente du soin psychiatrique à domicile, du regroupement et de la coordination des soins… sans que des moyens soient réellement affectés à ces vœux pieux, sur lesquels s’empale notre économie psychique !

Rassurons-nous : l’ambiguïté signifiante qui pèse toujours sur le D.M.P. (Dossier Médical Personnel… ou Partagé, comme à l’origine) nous montre la possible faille de ce système orwellien, où sans nul doute notre délire (de relation ?) pourrait nous amener à projeter un « monde meilleur » où les messageries électroniques « confraternelles » laisseraient place à l’échange convivial au café du commerce (équitable… !).

C’est grave, cher(e) Confrère ?

par Philippe Gasser, Pratiques N°67, novembre 2014

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