Présenté par Françoise Acker
Sociologue
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- Ce recueil rassemble des textes concoctés par un groupe d’orthophonistes réunies dans un atelier d’écriture, animé par Claire de Firmas et Isabelle Canil. Hors de leurs cabinets, elles se sont mises à l’ouvrage, au travail d’écriture et ont exploré, mobilisé une part des possibles modes d’expression qu’offre le langage écrit.
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En me plongeant dans ce livre, j’ai goûté, en déambulant d’un texte à l’autre, au hasard, selon ma disponibilité de temps et d’esprit, la quarantaine qui le compose. Et il y en a pour tous les goûts, pour tous les moments. Des textes courts ou plus ou moins longs, des récits à la première personne, des dialogues, des fables, de la poésie en prose ; des textes sérieux, amusants, loufoques, sans queue ni tête, futuristes, qui ménagent un suspense jusqu’au bout, qui suggèrent, qui ouvrent un horizon, parlent d’un atelier d’écriture (!), qui s’intéressent aux moyens de moduler l’expression, le sens des phrases, comme le permet la ponctuation par exemple ; des textes à l’écriture ciselée, incisive, nerveuse, percutante ou qui prend son temps, celui de déployer la réflexion, décrire une situation, un « cas », une séance, pour témoigner du plaisir de parler une langue, en se régalant de ses sonorités spécifiques…
En les lisant, j’entrevois le travail, l’énergie qu’il a fallu mobiliser pour arriver à ces textes, mais aussi le plaisir d’écrire, pour soi et pour le partager avec le lecteur, le plaisir de pouvoir mobiliser différents formats et styles, de faire chanter les mots, de laisser libre cours à son imagination, puis de la travailler pour nous la rendre accessible.
La plus grande partie des textes de ce recueil s’intéresse au travail quotidien des orthophonistes. L’un après l’autre, par petites touches, de façon impressionniste, ceux-ci nous permettent d’approcher ce que peut être leur travail, son objet et ses modalités, ses multiples facettes, ses enjeux. Ils témoignent aussi de l’engagement des orthophonistes dans leur travail, au quotidien et dans la durée.
Quels sont les patients qu’elles reçoivent ? Des enfants qui ont « un problème de langage », des personnes plus âgées que le langage déserte, des patients qui ont perdu leur voix suite à une maladie…
Comment s’y prennent-elles pour permettre à chacun de sortir d’une situation difficile, se mettre en mouvement, accéder à la lecture, l’écriture, l’expression de soi, la communication ? Voici quelques-unes des dimensions de leur travail qui, je pense, constituent et témoignent de leur fonction soignante dans la société.
L’orientation vers une consultation d’orthophoniste se présente souvent comme une démarche de « dernier recours », lorsque d’autres pistes ont déjà été explorées. Ce n’est pas sans appréhension ni réticence que les patients s’y rendent, parce qu’on ne sait pas ce que fait une orthophoniste. D’où l’importance de la première rencontre, de l’accueil. L’orthophoniste ne juge pas, elle écoute attentivement, invite à la parole, laisse entrevoir une possible évolution. Elle déploie sa caisse à outils – jeux, peinture, dessin, « chasse à l’escargot… – pour mettre en mouvement chaque patient, le faire sortir du silence, lever les résistances, laisser advenir la parole, déchiffrer et comprendre ce que cela occulte. Pour ce faire, les orthophonistes installent une relation qui va se déployer dans la durée, des mois, des années. Un temps long qui permet d’avancer au rythme de chacun, de ne pas s’arrêter lorsque surviennent des pannes, d’accompagner les patients dans une certaine stabilité en leur offrant un ancrage rassurant, une durée nécessaire, mais qui va à contre-courant des exigences actuelles de rapidité, de productivité. Un temps pour arriver à faire accéder au plaisir de s’exprimer, de jouer avec les mots, de moduler sa pensée, d’écrire, de lire. Un temps pour essayer de maintenir et faire revivre les mots qui commencent à faire défaut, qui ne font plus sens, et qui conduisent au repli sur soi. Ce travail est un travail de lien, qui permet à chacun d’être soi-même, de prendre sa place dans le monde, dans la société.
Ce recueil traite bien de l’envol de la parole, mais contrairement à ce que semble dire une partie du titre, je ne ressens aucune cacophonie dans ces textes. Plutôt une vitalité, une dynamique qui conduisent chacun des auteurs à s’approprier les différentes composantes du langage écrit, la variété des styles, pour dire de façon personnelle, mais aussi collective et assez bien partagée, ce pour quoi elles font ce travail, et continuent à s’y engager chaque jour.
* Ateliers Claude Chassagny, Quand la parole s’envole. Recueil cacophonique, Éditions libres plumes. Hors collection, 2018.