En préambule, rappelons que le PCF est partie prenante du mouvement qui est devenu le Printemps de la psychiatrie, depuis sa première réunion à l’automne 2017.
Notre démarche n’est pas partisane, nous souhaitons contribuer à ce que ces assises ne se contentent pas d’un énième constat que ça va mal et que c’est de pire en pire, mais ouvrent des pistes de perspectives alternatives pour poser les bases d’une plateforme pouvant rassembler les forces permettant de changer réellement la situation de la population. C’est le sens de ces propositions.
Elles sont le fruit d’un travail que nous menons au PCF depuis 2003 et les États généraux de la psychiatrie, puis après 2008 et le virage sécuritaire provoqué par le discours de Sarkozy, avec les collectifs « Non à la politique de la peur » et surtout celui des 39 avec qui nous avons co-organisé plusieurs colloques au Sénat, et depuis l’automne 2017 avec ce qui est devenu le Printemps de la psychiatrie.
Nous dénonçons l’appauvrissement de la psychiatrie durant 40 ans qui a entraîné le tri des malades et le renoncement à certaines de ses missions comme la prévention. Aujourd’hui seuls les plus malades ont accès au service public de psychiatrie de Secteur, les autres sont renvoyés vers un psychiatre ou un psychologue libéral s’ils peuvent le payer et en trouver un, ou vers le généraliste.
Nous dénonçons les délais d’attente intolérables pour un premier rendez-vous.
Nous dénonçons les fermetures de structures ambulatoires et de lits, remettant en cause l’importance du principe de soins de proximité.
Nous dénonçons les fusions de Secteurs qui aggravent ces fermetures et dépersonnalisent les soins en nivelant les orientations vers un plus petit dénominateur commun et diluent les relations intersubjectives dans une foule d’intervenants.
Nous proposons que la psychiatrie ait (enfin !) les moyens de remplir sa mission fondamentale qui est de répondre à toutes les souffrances psychiques, des plus graves aux plus bénignes, sans restriction. Cela nécessite les réouvertures des structures ambulatoires et de lits, le rétablissement des Secteurs de proximité et l’embauche massive de soignants.
Nous dénonçons l’inscription de la psychiatrie dans le parcours de soins instauré par la Loi Touraine. La psychiatrie ne doit pas être une spécialité comme les autres, ce qui entraîne la segmentation des intervenants et le séquençage de la maladie entre périodes de crise et de rémission. Le plus souvent, les patients stabilisés ne relèvent plus que du médecin généraliste avec un éventuel étayage du social (Groupe d’entraide mutuelle) et du médicosocial (Foyer d’accueil médical).
Nous proposons que la psychiatrie soit considérée comme une discipline à part entière au même titre que la médecine, la chirurgie et l’obstétrique. Et non plus comme une simple spécialité médicale comme la cardiologie ou la dermatologie
Nous proposons de ce fait que la psychiatrie de Secteur soit considérée comme un parcours de soins spécifique, assurant au travers de la multiplicité de ses structures la continuité des soins de prévention, de cure (essentiellement ambulatoires et éventuellement d’hospitalisation) et de postcure.
Nous proposons que la psychiatrie de Secteur travaille en complémentarité, en coordination et en coopération avec les autres acteurs (généraliste, médico-social, PMI, GEM, Éducation nationale et, bien sûr, les proches).
Nous dénonçons le fait que les services d’urgences soient devenus des usines à internement et à contention. En effet, de nombreux secteurs demandent à ce que les personnes qui veulent se faire hospitaliser fassent d’abord un bilan somatique et soient obligées de passer par les urgences, où, au bout de quelques heures, elles s’agitent et se retrouvent contentionnées et internées.
Nous proposons que les patients souhaitant se faire hospitaliser aillent directement dans les services et qu’une convention soit signée entre les Secteurs et l’hôpital général afin que des créneaux y soient dédiés pour permettre aux patients de faire ces bilans dans les jours qui suivent l’hospitalisation, en étant accompagnés par les soignants de psychiatrie.
Au vu de ces enjeux, on voit que lorsque l’on parle du Secteur aujourd’hui, cela n’a plus rien à voir avec les fondements philosophiques du Secteur des années soixante, mais surtout il n’est pas sûr que lorsque le ministère parle de Secteur, tout le monde ait bien conscience qu’il ne s’agit plus du tout d’un dispositif de proximité assurant à tous la continuité des soins.
C’est pourquoi nous pensons indispensable de poser les bases d’une Loi cadre de refondation du Secteur.
D’autres aujourd’hui avancent la même proposition de Loi cadre, mais pour graver dans le marbre cette psychiatrie « efficace » et « rentable » centrée sur la crise et en finir définitivement avec la philosophie humaniste que nous défendons.
Face aux enjeux, il ne suffit plus de dire que nous défendons l’accès aux soins. Il faut que soient clairement levées les ambiguïtés :
Défendons-nous l’accès aux soins seulement pour les plus malades, ou au contraire pour toutes les personnes en souffrance psychique ?
Sommes-nous pour le séquençage de la maladie et la segmentation des prises en charge, ou sommes-nous au contraire pour la continuité des soins par le dispositif public de psychiatrie ?
Si nous ne commençons pas ici à dire clairement « oui nous voulons un dispositif public de psychiatrie qui soigne tout le monde et assure la continuité des soins », nous risquons fort de vivre des lendemains douloureux.
Nous osons espérer que quelques-unes de ces propositions seront partagées et deviendront des exigences d’un mouvement élargi impulsé par le Printemps de la psychiatrie.
« Quels soins »
En tant qu’organisation politique, nous n’avons évidemment pas à définir la clinique.
Mais c’est notre rôle de défendre une conception éthique de prise en compte de l’humain par la psychiatrie, comme en médecine, chirurgie, obstétrique (MCO).
C’est une question éminemment politique !
C’est pourquoi :
Nous dénonçons la psychiatrie de la norme définie par le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), qui n’aurait pour objet que de normaliser les individus et leurs comportements. Cela va de pair avec un profit substantiel pour l’industrie pharmaceutique, puisque le DSM ne définit des troubles que s’il existe un traitement symptomatique.
Nous dénonçons le fait que des centaines de milliers de personnes sont condamnées à consommer toute leur vie des psychotropes parce qu’elles n’ont d’autre choix qu’une prise en charge par leur généraliste, au prétexte qu’elles ne sont pas suffisamment malades pour être suivies en CMP. Or les généralistes ne sont pas formés à la psychothérapie ni au maniement des traitements psychotropes et surtout ils n’en ont pas le temps. Rappelons qu’une étude récente a démontré que seuls quelques antidépresseurs sont réellement efficaces sur une durée courte, à condition qu’ils soient associés à une psychothérapie !
Nous dénonçons le fait qu’aujourd’hui, au nom d’une caricature des neurosciences, on nous fasse croire que tout ne serait que biologique en niant les dimensions psychiques et sociales des souffrances de la personne. Ainsi il ne s’agit plus de soigner une personne mais de traiter des symptômes, des troubles pris isolément, ce qui rend inutile la prise en compte de l’histoire de la personne dans un soin individualisé, au profit d’un soin protocolisé, standardisé.
C’est la démarche de rationalisation et d’industrialisation, faisant de la personne un objet, qui entraîne une organisation scientifique du travail : De là l’idée d’un possible séquençage de la maladie et d’une segmentation de la prise en charge.
Nous dénonçons l’opposition arbitraire que cela implique entre psychogénèse, sociogénèse qui seraient incompatibles avec la biogénèse, aboutissant à l’interdiction des approches psychanalytiques et sociothérapiques au profit de l’instrumentalisation des techniques cognitivo-comportementales (TCC)
Nous proposons de revenir à une approche bio-psycho-sociale prenant en compte toute la complexité de la personne humaine prise dans son individualité, —rappelons qu’un atelier lors des dernières Assises avait démontré qu’il n’y a pas d’opposition entre les différentes approches, mais une possible complémentarité.
Nous dénonçons l’interchangeabilité des soignants qui ne seraient que les opérateurs des protocoles.
Nous dénonçons la déshumanisation des soins que cela implique.
Nous proposons que, quelle que soit la technique utilisée, le soin soit toujours fondé sur la relation. La question fondamentale étant celle de la qualité psychothérapique de cette relation entre le patient et les soignants. Ce qui impose un engagement individuel de chaque soignant. C’est ce que certains appellent « transfert », même s’il n’est pas obligatoire de vouloir s’inscrire dans une approche psychanalytique.
Nous proposons que le patient stabilisé puisse continuer s’il le souhaite à fréquenter les structures de postcure, puisque nombre d’entre eux sont stabilisés justement parce qu’ils bénéficient de cet étayage. C’est ce que montre avec force le film « Sur l’Adamant ».
Nous proposons que le patient puisse choisir le type de prise en charge adapté à son état qui lui convient le mieux à un moment donné. Proposer d’emblée une psychothérapie analytique ou une thérapie comportementale à un adolescent qui décompense n’est pas forcément la meilleure méthode. On peut lui proposer de commencer par un accueil de groupe informel, ou bien il peut demander à parler à un soignant dans un espace plus confidentiel. Et c’est avec lui que l’on définira quelle est la méthode qui lui conviendra le mieux : cela peut être une association de différentes prises en charge (thérapie, TCC, médicament, psychodrame…)
Nous dénonçons le manque de formation aux théories psychanalytiques et sociothérapiques, voire leur interdiction dans les formations initiales des soignants, qui ne permettent pas de comprendre et de donner du sens à ce que présente et vit le patient.
Nous dénonçons la banalisation du recours à l’isolement et à la contention qui ne sont que le résultat d’une psychiatrie sécuritaire qui, au travers notamment des formations à la gestion de la violence, génère la peur des soignants et leur incompréhension de ce que signifie l’agitation de certains patients qui n’est que l’expression de l’angoisse.
Nous proposons, l’interdiction immédiate des dispositifs de contention, comme c’est déjà le cas dans certains établissements.
Nous proposons un plan progressif de réduction des chambres d’isolement et des structures sécuritaires (UPID) pour revenir rapidement à la situation d’avant 2008.
Nous proposons pour y arriver un plan pluriannuel d’augmentation du nombre de soignants et qu’ils disposent de formations spécifiques adaptées.
Nous proposons l’interdiction des « formations à la gestion de la violence » et leur remplacement par la généralisation de formations à l’apaisement de l’angoisse.
Nous proposons de rétablir une formation initiale spécifique pour tous les soignants exerçant en psychiatrie avec l’instauration pour les infirmiers d’un diplôme en « Y », et une formation complémentaire pour tous les primo arrivants en psychiatrie, comme cela a été élaboré en 2003 par la CGT, SUD, FO, CEMEA et SERPSY à l’issue des États généraux de la psychiatrie. Formation devant leur donner les bases théoriques issues des courants de la psychogenèse, de la sociogenèse et de la biogenèse leur permettant d’appréhender les faits psycho-pathologiques dans la complexité bio-psycho-sociale de la personne humaine.
Nous proposons que ces mesures soient inscrites comme principes fondamentaux d’une Loi cadre de refondation du Secteur.
Ces propositions ne sont pas à prendre ou à laisser, mais soumises au débat et visent à contribuer à l’élaboration d’une plateforme du Printemps.