Agir sans l’AGGIR

Est-il besoin d’avoir coché les cases d’une grille pour se rendre compte que Mme X, âgée de 88 ans, récemment arrivée dans la chambre Y d’une maison de retraite, aurait besoin, pour retrouver la notion du temps qui passe, de quelques minutes d’attention quotidienne ?
L’isolement ne fait pas oublier le temps qui passe qu’aux vieillards !
Une éphéméride sur sa table de nuit et quelques minutes d’attention chaque matin pendant une quinzaine de jours pour rappeler à Mme X que c’est l’Automne et que nous sommes mercredi 1er octobre, jeudi 2 octobre ou vendredi 3 octobre… etc., tout en lui disant d’arracher la petite feuille de la veille, n’est-ce pas juste un peu de temps pour qu’elle retrouve son autonomie temporelle ?

Est-il besoin d’avoir coché les cases d’une grille pour se rendre compte que Mme Z, âgée de 98 ans, pourrait remarcher même sans ce kinésithérapeute venant, chaque jour, lui faire descendre trois marches d’escalier et la recoucher moins d’un quart d’heure plus tard ? Avec encore « toute sa tête » de femme d’origine modeste, pourquoi ne remarcherait-elle pas si ses charentaises n’avaient pas trois pointures au-dessus de ce qui lui conviendrait ?

Mmes X et Z sont deux personnes dont je devais quotidiennement assurer les soins.
Mme X, grâce à une petite feuille de papier arrachée chaque jour, avait pu rapidement reprendre les rênes de sa vie de femme célibataire aisée pour demander à son chargé d’affaires de lui trouver une maison de retraite sur la Côte d’Azur et Mme Z, dès qu’elle avait pu se chausser correctement, avait pu descendre à la salle à manger sans craindre de tomber et donc sans aucune aide, ce qu’elle n’avait pas fait depuis des mois, obligeant le personnel à lui apporter ses repas dans sa chambre. Et le directeur de la maison de retraite de s’exclamer alors : « Oh ! Miracle ! ».
En maisons de retraite ou ailleurs, n’est-ce pas à nous de ne pas en faire trop (Pratiques n° 63) et de juste tendre la main pour donner un petit coup de pouce ? Sans faire de miracles et en sachant, comme l’écrit La Fontaine :
Qu’il ne faut pas tant d’art pour conserver ses jours,
Et grâce aux dons de la nature,
La main est le plus sûr et le plus prompt secours.

Eh oui ! Une simple main peut faire retrouver son autonomie (temporelle ou spatiale) à qui l’avait perdue, grâce à des choses très simples, mais ni médicales ni médicamenteuses : un calendrier posé par elle sur une table de nuit et une paire de pantoufles mise par elle au pied d’un lit [1] [2].

par Annick Jani, Pratiques N°68, février 2015


[1AGGIR : référentiel gériatrique évaluant l’altération fonctionnelle.
Cf. http://www.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_final-Pathos-MEP-BAT.pdf

[2Ce qui précède remonte aux années 1990. Nous sommes en 2014 et je n’ai pas lu le livre de 80 pages (qui devrait sans doute être très intéressant) de François Bégaudeau intitulé Le moindre mal http://raconterlavie.fr/collection/le-moindre-mal/#.VDpX5fl_vB0

Lire aussi

N°69 - février 2015

Partager la blouse blanche

par Martine Lalande
Martine Lalande, médecin généraliste L’hypertension artérielle n’est ni un symptôme ni une maladie, c’est un facteur de risque. Qui fait risquer l’accident vasculaire qui laisse paralysé. D’où …
N°68 - février 2015

Didier Ménard, un toubib dans la cité

par Didier Ménard
Didier Ménard, médecin généraliste Propos recueillis par Anne Perraut Soliveres et Philippe Lorrain C’est un destin improbable qui a amené Didier Ménard à exercer la médecine durant plus de …
N°68 - février 2015

La faim de vie

par Pascal Caboret
La médecine avoue tôt ou tard son impuissance et abandonne inévitablement sur le chemin ancestral de la mort ce nouveau citoyen-sujet qui a renoncé à tout pour vivre médicalement. Pascal Caboret …
N°68 - février 2015

Autonomie scindée, protégée ou partagée

par Benoît Eyraud
Réflexions suscitées par l’exercice de la protection juridique des personnes majeures vulnérables. Benoît Eyraud Enseignant-chercheur à l’Université de Lyon, Centre Max Weber, programme de …