Annick Jani
Infirmière retraitée
La santé, sujet complexe, était également un mot accolé – tacitement ou non – à l’adjectif bonne : être en bonne santé... Cette conception n’est plus de mise. La santé devient durable ou numérique car « Pour ma santé, je dis OUI au numérique » selon l’Agence du numérique en santé, agence gouvernementale antérieurement nommée ASIP-Santé (Agence des systèmes d’information partagés de santé).
Bien que simple infirmière baby-boomeuse en retraite, et même si, comme l’avait écrit Pline l’Ancien : Ne supra crepidam sutor iudicaret (à chacun son métier), je me laisse tenter par la question « Quelle santé pour tous ? », alors que c’est le mot maladie qui, juridiquement et administrativement, semble dominer : CPAM (Caisse primaire d’Assurance maladie), PUMa (Protection universelle maladie), sauf si vos ressources sont modestes ou que vous êtes un travailleur indépendant en difficulté pouvant alors bénéficier de la Complémentaire santé solidaire.
Malheureusement, le mot santé est devenu un « mot valise » comme le remarquait déjà Pierre Cornillot (Revue française de psychosomatique 2009/2 – n° 36, pp. 101 à 114). Santé : un système chaotique sorti de scène quand la médecine y entrait en médicalisant le moindre écart physique, psychique ou social ». Ce même auteur faisant remarquer son idéalisation par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour en faire une « généreuse utopie ».
Serait-ce au tour de la médecine de se retrouver dans les coulisses, poussée par une pharmacie galénique « longtemps considérée comme une discipline mineure de la pharmacie » selon Patrick Couvreur dans sa leçon inaugurale du Collège de France, intitulée en 2010 : « Les nanotechnologies peuvent-elles contribuer à traiter des maladies sévères ? »
À l’ère de la pharmacotechnie productrice de nanomédicaments conçus pour être vectorisés grâce à des molécules « missiles », Médicaments de thérapie innovante (MTI) et Produits de thérapie cellulaire (PTC), fabriqués avec des tissus (vivants ? synthétiques ?), des cellules, ou encore du matériel génétique, et au temps du DIY en tous domaines (do it yourself), un des secrets de la santé de chacun, et donc de tous, ne serait-il pas tout simplement de revoir, mais surtout de transmettre et de diffuser, cette « généreuse utopie » dont les principes, énumérés en 1946 dans la Constitution de l’OMS étaient entrés en vigueur en 1948, avant de sombrer dans l’oubli pour préparer une nouvelle guerre mondiale, semble-t-il ?
Ces beaux principes ne pourraient-ils servir d’introduction à des modes d’emploi plus précis concoctés par une médecine préventive qui semble devoir être à inventer puisque Coline Serreau dans son film La Crise n’a apparemment inspiré personne ?
Une médecine préventive à inventer pour tous afin qu’individuellement chacun puisse prendre en mains sa santé en mode DIY grâce à des consultations aussi abordables que celles des médecins généralistes (en voie de disparition) auprès de médecins qui, pourquoi pas, seraient d’un nouveau genre mais ne seraient pas des cabines informatisées installées dans les supermarchés ou des espaces de santé SNCF.
Une médecine préventive qui permettrait de voir autrement la maladie globale, dite santé globale, les maladies émergentes menaces pour la santé publique et cette santé communautaire que la DGS (Direction générale de la santé) ne saurait définir sans l’aide des rapports des consultants de « Planète Publique », cabinet de conseil pour les affaires et autres conseils de gestion, fondé en 2006, qui s’est spécialisé en politiques publiques (ce qui représenterait en moyenne 80 à 90 % de son chiffre d’affaires) et qui, telle une poupée russe, s’ouvre – via internet – sur « Planète Citoyenne », son agence de concertation et de participation citoyenne.
Quant à la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, son verbiage légal et ses dispositions sont difficiles à comprendre, même sous couvert de démocratie. « L’inégalité des divers pays en ce qui concerne l’amélioration de la santé et la lutte contre les maladies, en particulier les maladies transmissibles, est un péril pour tous. »
Abstraction faite de la dégradation des conditions de vie dans bien des régions de France, de la violence, de la pauvreté que les rues de Paris exposent désormais et plus seulement le long du périphérique, de la désindustrialisation, du chômage, du changement climatique, de la fermeture des hôpitaux, des services publics divers et variés, et j’en oublie, quelle santé pour tous pourrait bien se concevoir quand, ne serait-ce qu’en France, une seule personne tombant malade, n’ayant plus de médecin généraliste, se trouve confrontée à devoir choisir, seule, parmi les spécialistes qualifiés celui qui sera susceptible de la soigner et cela dans une liste pour le moins désordonnée établie par un arrêté du 21 avril 2017 où, d’ailleurs, trouver les mots « médecine préventive » s’avère impossible ?
Quant au mot prévention, certes, il y apparaît… Mais en 2023, il est admis que la santé dépend de deux grandes composantes, reliées l’une à l’autre : le génome et l’exposome. Comment alors trouver dans cette combinaison, alliant génétique et environnement, la moindre évocation d’une quelconque prévention individuelle responsable puisque le génome est lié au caractère génétique de l’individu, acquis dès sa conception et hérité de ses parents, et que l’exposome est lié à l’environnement dans lequel il a été conçu, vit ou a vécu, mais ayant un impact sur l’expression de son génome ? La boucle génomique est bouclée et la prévention parcellaire a de beaux jours devant elle.
À titre d’exemple, l’arrêté de 2017 précité indique qu’il faut « dépister les pathologies les plus communes et fréquentes de la spécialité (en l’occurrence endocrinologie-diabétologie-nutrition) et organiser leur prévention avec le médecin traitant […]. Intégrer les notions d’exposome nutritionnel et hormonal dans les stratégies de prise en charge thérapeutique et de prévention, y compris les perturbateurs endocriniens ».
Et puisque la nutrition est évoquée, c’est sans aucun doute pour votre santé que, d’ici peu, vous pourrez consommer des abeilles (mais plus leur miel), des chenilles, coléoptères, guêpes, punaises, sauterelles et autres termites, d’autant plus qu’étant donné ce qui se passe en Afrique, vous n’aurez plus de bananes, de cacao, de café… La chitine prendra soin de votre microbiote intestinal, à plus forte raison quand se profilent de nouveaux professionnels : des ingénieurs Alimentation et santé pour éduquer à la santé les populations saines ou malades, formuler des produits alimentaires intégrant les besoins nutritionnels spécifiques à certaines populations, développer et valoriser les bénéfices santé des produits alimentaires et savoir les vendre, contrôler la qualité sanitaire et nutritionnelle des produits alimentaires.
Entre réglementations, corps en miette et Utopie, peut-être faudrait-il s’intéresser à ces organes sur puces en passe de vous offrir une médecine personnalisée selon un article du journaliste Gautier Virol paru dans L’Usine Nouvelle du 10 août 2023 ?
Un renouveau de la recherche clinique, avec ou sans médecins, serait paraît-il possible grâce à des ingénieurs en microfluidique, scientifiques de la manipulation des fluides à une échelle de l’ordre du millième de millimètre dans des laboratoires miniaturisés mesurant à peine 2 cm, effectuant, avec un minimum de réactifs, des analyses ultrarapides ?
Selon l’Institut Carnot IPGG (Institut Pierre-Gilles de Gennes), la microfluidique est déjà une réalité permettant d’effectuer des analyses complexes dans une simple goutte et d’injecter des produits plus facilement dans le corps humain.
La microfluidique représenterait pour la biologie et la chimie une révolution semblable à celle apportée par les microprocesseurs à l’électronique et l’informatique. Des ingénieurs jusqu’ici dans l’ombre seraient-ils en passe de remplacer les médecins ? That seems to be the question !
Partager « un verre virtuel » est à la mode. Je peux donc vous dire : à votre bonne e-santé ! Si tant est qu’elle ne se perde pas dans un de ces EDSH (Entrepôts de données de santé hospitaliers) qui intéressent tant la Haute autorité de santé qui a entrepris d’en « dresser un panorama » car ils « contiennent une grande quantité d’informations médicales complémentaires – des données de vie réelle – potentiellement utiles dans la réalisation de ses missions ».