Isabelle Canil
Orthophoniste
Il a 65 ans. Quand il était en cours préparatoire, devant tout le monde, il a été accusé d’avoir volé un livre. C’était même pas vrai. Il se souvient encore de la honte, de l’humiliation, pour lui, pour sa mère… Il a redoublé son cours préparatoire, a traîné la patte pendant toute l’école primaire. Il est passé en 6e transition (quelque chose comme les sections d’enseignement général et professionnel adapté-Segpa actuelles). Il se souvient de son prof, Monsieur Massat, qui disait à sa mère : « Il est nul en dictée, mais il s’en sortira ». Vers la fin de l’année, il a passé tous ses jeudis (avant c’était le jeudi) à aider le prof à repeindre la classe dans le préfabriqué. Du coup, ça allait mieux qu’au primaire. Le certificat d’études, il ne l’a pas eu, parce que le zéro en dictée était éliminatoire. Il est entré dans un Centre d’études techniques (C.E.T) pour préparer un CAP de menuiserie. Son prof d’atelier, Monsieur Vivès, qui fumait comme un pompier, disait qu’il était le meilleur, malgré les dictées. Il est arrivé deuxième de l’académie, et de temps en temps, il y repense, certain que Monsieur Massat et Monsieur Vivès l’ont sauvé.
Elle a 85 ans. Elle est arrivée en France en 1950, retrouver son père exilé d’Espagne à cause de Franco. Elle avait 16 ans, ne parlait pas un mot de français. On l’a mise avec les enfants de cours préparatoire. Elle se souvient encore de la honte, de l’humiliation…
C’est Madame Trolon qui l’a sauvée. Une institutrice qui la gardait après l’école, et lui faisait faire et refaire tous les exercices de toutes les matières du certificat d’études. Parfois à en pleurer. Et elle l’a eu. Et puis elle est devenue secrétaire. Et un peu plus tard, peintre. Elle parle encore de Madame Trolon…