Scènes de la vie ordinaire en Macronie

Zéro heure quarante-cinq, la sonnette retentit chez Sophie, seule à la maison avec ses deux enfants. Réveillée en sursaut, elle regarde par l’œilleton. Les gendarmes ! « Bonjour Madame, nous avons une réquisition, vous devrez vous présenter demain matin à 7 heures aux urgences » disent-ils. Pas de protestation possible, c’est la loi. Elle n’a jamais été réquisitionnée, car les soignants, quel que soit le motif de leurs absences inopinées, se sont toujours débrouillés pour assurer une présence minimum auprès des malades. Là, un point de rupture vient d’être atteint : plusieurs arrêts maladie de soignants et de médecins sont venus interrompre une situation infernale, c’est une première. Tous sont épuisés et personne ne veut les entendre.

Elle-même est de repos après une semaine éprouvante et elle se demande comment organiser la garde imprévue des petits à cette heure-là. On ne peut pas réquisitionner une nounou... Elle ne parvient pas à se rendormir.

Au travail, elle ressasse l’amertume d’avoir été réquisitionnée et sa journée lui paraît particulièrement pénible. Quand elle s’achève enfin, Sophie, au bout du rouleau, se rend chez son médecin, elle s’écroule en larmes. Il la met en arrêt de travail. De retour chez elle, elle trouve les gendarmes devant sa porte : nouvelle réquisition pour le lendemain matin…

L’impensable a été atteint.

Des milliers d’heures supplémentaires, non payées, sont impossibles à récupérer. Pas plus de quinze jours de vacances consécutifs. Des semaines de plus de soixante heures de travail au lieu de trente-cinq. Un nombre croissant de soignants en arrêt de travail dont plusieurs en burn-out

Combien de patients s’aggravent, voire meurent dans les couloirs avant même d’avoir pu être examinés ? Combien d’erreurs médicales commises par des soignants épuisés et anéantis ?

Et c’est comme ça partout en France où le seul objectif des « autorités » est de diminuer le coût des soins sur le dos des soignants qui n’en peuvent plus.

La ministre de la Santé dit avoir reconnu leur « détresse »… Face à la revendication d’une augmentation de salaire de 300 € mensuels, et surtout de davantage de personnel et de moyens, Mme Buzyn a fait part de son souhait que la « prime sécurité » soit relevée « partout où cela est justifié » ! Or, cette prime est déjà très inégale selon les hôpitaux et ne dépassera pas, dans le meilleur cas, 100 euros. C’est vraiment sous-estimer les effets d’une gestion calamiteuse des soins, et surtout laisser entendre qu’en leur balançant quelques euros de plus, les soignants pourraient continuer à travailler dans ces conditions délétères.

Ainsi, à ce jour, malgré une mobilisation inédite des soignants des urgences comme des services de psychiatrie, le gouvernement, sous prétexte d’équilibre budgétaire des hôpitaux, refuse de revenir sur sa politique de sabordage de l’hôpital public. Nul doute que les mesures prévues dans le « projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé » ne feront que l’accélérer.

      1. Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson capturé, alors le visage pâle s’apercevra que l’argent ne se mange pas. Sitting Bull

par revue Pratiques, Pratiques N°86, juillet 2019

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