Présenté par Lanja Andriantsehenoharinala
Les rues sont pleines, pleines de ceux qui se donnent le temps, le loisir, le droit parfois de flâner en centre-ville. Il y a ceux qui marchent décidés ; ceux qui traînent les pattes ; ceux qui ont déjà des poches plastiques géantes griffées et les arborent fièrement l’air de dire « J’ai acheté, moi ! ». Ce samedi, je vais à la librairie de BD. Pour l’ambiance, pour chiner des trucs improbables, parcourir les bulles (vous saviez qu’on les appelle des phylactères ?). Par chance, sur un promontoire que j’ai interprété comme « spécial engagé » (j’y ai vu la BD sur les grévistes des montres Lipp [1]), j’y trouve une bédé ou plutôt une nouvelle revue dessinée. Vous savez, comme LA Revue dessinée : 200 pages d’informations et de reportages avec une exigence journalistique et une mise en forme moderne illustrée en BD [2].
Là je trouve une revue dessinée, un bel objet, avec un drôle de titre : Être là, reportages de Christophe Dabitch. Et juste en dessous : Amnesty International. Je l’emporte vite fait et le lis.
Christophe Dabitch a réalisé plusieurs enquêtes-reportages dans différents pays et s’est ensuite entouré d’illustrateurs, dessinateurs, artistes du papier et des couleurs pour en arriver à ça. Ça : c’est une mine d’informations et de réflexions avec une forme qui fonctionne vraiment bien. On part en Argentine : les enfants et familles des disparus de la dictature créent et posent des plaques du souvenir en céramique dans l’espace public urbain de Buenos Aires. On s’envole au Japon : où la peine de mort n’a pas été abolie (ce que j’ignorais) et où elle est exécutée par pendaison... On atterrit au Cambodge : l’accaparement industriel des terres à Pnohm Penh devient l’enjeu essentiel de familles entières, une question de vie ou de mort. On traverse les frontières, celles qui sont infranchissables pour la plupart, celles qui sont surveillées comme la ligne clôturée entre la Turquie et la Grèce le long du fleuve Evros.
« Être là, c’est incarner ce lien puissant qui existe entre des hommes issus de tous horizons qui se mobilisent pour, auprès et avec ceux dont les droits sont menacés ou bafoués » (postface d’Amnesty international.)
Ce livre est donc un outil. Sa forme, soit le pari fait sur l’alchimie ente subjectivités des dessinateurs et documentations de l’auteur (comme le dit Christophe Dabitch dans sa préface), nous interroge sur l’efficacité de ces nouveaux supports. Et si ça marchait aussi pour d’autres revues ?
Être là, reportages de Christophe Dabitch avec Amnesty International, éd. Futuropolis, 2014.
** Allusion à l’exposition Savoir une chose comme l’ayant vue de Nicole Bergé — photographe et plasticienne sur la mémoire, l’histoire et les souvenirs du camp de Rivesaltes (Pyrénées Orientales), symbole des folies des hommes du XXe siècle (seconde guerre mondiale, guerre d’Algérie, guerre d’Espagne).