Recette pour la création d’un (petit) îlot d’utopie heureuse dans l’océan du commerce de la médecine libérale

>Préparation
Des années d’études médicales débutées avec mai 1968.
Une solide amitié entre deux copains de faculté, fondée sur une vision politique commune et critique d’une société inégalitaire.
La découverte, au fil des études médicales, au contact de quelques médecins généralistes qui allaient fonder, en 1975, le Syndicat de la médecine générale, que la dimension de la médecine la plus passionnante était une médecine de la personne considérée dans son parcours individuel et social.
La volonté de revaloriser la médecine générale, à l’opposé du modèle de la médecine garagiste hospitalière, cantonnée dans un rôle de réparatrice d’organes.
Analyser finement les contraintes économiques pour l’installation d’un cabinet de médecine générale.
Tenir compte du facteur — déterminant pour le succès ou l’échec financier de l’implantation du cabinet médical — du mode de rémunération du paiement à l’acte du médecin généraliste, la source des revenus.
Résoudre au mieux la quadrature du cercle : pour faire rentrer de l’argent, il faut faire des « actes » médicaux curatifs, alors que cette tendance à vouloir multiplier les actes est strictement antagoniste avec une certaine qualité des soins ; du temps pour chaque consultation, mais également du temps pour se former et informer les patients et puis plus largement, du temps pour vivre et faire des choses en dehors du cabinet médical.

Ingrédients pour un fonctionnement durable et intéressant du cabinet médical
Un « train de vie » du cabinet médical le plus bas possible, de sorte que les frais obligatoires, représentant à chaque fois un certain nombre d’actes médicaux à faire avant de toucher le moindre centime pour se payer un sandwich, soient les plus réduits possible ; s’installer sans emprunt bancaire, trouver un local professionnel peu cher, commencer avec un mobilier sobre (je recommande en particulier le plateau d’aggloméré avec deux tréteaux, qui constitue un excellent bureau de médecin).
Ne pas faire le choix de multiplier les actes médicaux au maximum des possibilités du système dans le but de gagner suffisamment d’argent pour se réaliser en temps qu’individu en dehors de la médecine par les plaisirs (réels) que permet l’argent.
Mais plutôt, faire le choix d’une médecine plus lente, moins lucrative, dans laquelle le médecin reçoit en retour les satisfactions d’un métier beaucoup plus riche. Le plus de plaisir qu’il s’octroie en travaillant ainsi venant compenser largement le manque à gagner par rapport à certains confrères. Sortir des logiques perverses du paiement à l’acte. Le fait de s’installer en groupe permet, quand il y a une bonne entente dans l’équipe, de se solidariser en se « salariant ». Mise dans un pot commun de tous les honoraires de la pratique libérale de chacun, auxquels viennent se rajouter d’autres rémunérations comme des vacations de médecine hospitalière, scolaire ou de santé publique. Se partager ce qui reste dans le pot, une fois les frais de fonctionnement payés, sous forme de rémunérations mensuelles globales ne tenant plus compte du nombre d’actes effectués par chacun mais simplement au prorata du temps de travail (plein temps, mi-temps, etc.) de chacun des membres de l’équipe.

Cuisson : lente et longue, non terminée à ce jour
Au début, des phases très délicates au plan économique — nous avions envisagé de fermer boutique au bout de deux ans d’installation. L’équipe s’est agrandie, est passée de deux à quatre médecins et, au bout de plus de vingt-cinq ans d’exercice, nous sommes « salariés » sur la base de 24 000 F par mois au prix de trop longues journées de travail (paiement à l’acte oblige), pour un travail qui continue à nous passionner, bien que nous continuions à nous sentir très étriqués dans nos conditions d’exercice libéral...
Et vivement un jour le paiement global de notre travail, loin de nos petits commerces boutiquiers !

par Patrice Muller, Pratiques N°13, mai 2001

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