Penser la santé planétaire

En 2024, la santé communautaire ne peut plus se penser sans intégrer la dimension planétaire et la santé planétaire ne pourra s’engager qu’en s’appuyant sur la dynamique communautaire.

Léa Schleck, Médecin généraliste

Alors qu’on voit disparaître progressivement du langage institutionnel le terme de santé communautaire, la notion de santé planétaire est de plus en plus revendiquée.
Loin d’être deux concepts distincts qui pourraient cohabiter, voire dialoguer, comme cela a été le cas avec la santé publique, les démarches de santé communautaire et santé planétaire ne sauraient être autrement qu’étroitement liées, voire s’inscrire dans une continuité et grande cohérence.
La démarche de santé communautaire a émergé dans les années soixante-dix, principalement sur le continent américain (Nord et Sud) dans les contextes politiques et sociaux de grands mouvements citoyens.
Un des principaux moteurs de la santé communautaire a été l’empowerment des communautés vis-à-vis de leur santé, et la revendication d’une partie des soignants et acteurs engagés intégrant une démarche globale de soin, dépassant le simple cadre biomédical.
Approche basée sur le récit et la place que les individus et groupes d’individus donnent à la santé au sein de leur environnement de vie, la santé communautaire interroge les conditions de vie des individus, des communautés et amène dans le débat public des enjeux de société. La santé des individus est perçue comme un moyen à disposition de chacun, elle n’est pas la propriété des soignants, des firmes ou des dirigeants. Dans ce sens, la santé communautaire réinterroge profondément les pratiques, les modes d’organisation et de financement des systèmes de soins, en ayant l’ambition de les amener vers des systèmes de santé. Alors que cette démarche apparaît en cohérence avec la nécessité d’accomplissement démocratique des peuples du monde, elle semble être progressivement délaissée par les pouvoirs publics des pays dans lesquels elle avait gagné le champ institutionnel et reste, ailleurs, cantonnée à des dynamiques plutôt marginales.
A contrario, la notion de santé planétaire fait son entrée au sein des universités avec des enseignements dédiés, au sein de sociétés savantes internationales et s’affiche lors des évènements institutionnels.

La santé planétaire est définie comme un domaine émergent centré sur la caractérisation des liens entre les perturbations des systèmes naturels terrestres dues aux activités humaines et leurs conséquences sur la santé publique.
Son objectif est de développer et d’évaluer des solutions fondées sur les preuves afin de préserver un monde équitable, durable et sain.
La santé planétaire s’attache à explorer les liens entre santé humaine et environnement dans le cadre de l’anthropocène, en faisant de l’Homme un sujet-acteur-victime, en transformant la dynamique de l’Homme source de problème en Homme acteur de solutions.
Cette discipline a émergé de professionnels de la santé publique et intègre progressivement les acteurs de terrain : citoyens, acteurs communautaires et associatifs, divers professionnels en position de facilitateurs, chercheurs et décideurs politiques qui souhaitent lui trouver une place dans la pratique.
L’engagement éthique en santé planétaire, énoncé dans la déclaration de Canmore (2018), impose l’affirmation de la responsabilité intergénérationnelle, la reconnaissance par des droits de la valeur intrinsèque des éléments non-humains de la biosphère, la revendication d’une impérative justice distributive, l’application du principe de précaution et l’application du droit de savoir.
Sa définition et sa conceptualisation émanent de fondements en santé publique alliant des approches à la fois épidémiologique et biostatistique, sociologique, anthropologique et éthique. Ceci étant, sa mise en pratique ne pourra se concevoir que dans le cadre d’une démarche démocratique et communautaire, ancrée sur le terrain.
Or c’est bien la santé communautaire qui a inscrit dans le champ de la pratique les savoirs anthropologiques et sociologiques, ainsi que les exigences éthiques d’une réelle démocratie en santé.
La mise en pratique d’une démarche en santé planétaire doit donc nécessairement s’ancrer sur les bases de la santé communautaire.
La santé communautaire est le résultat d’une dynamique de défi d’agir pour la santé des populations dans des territoires, quartiers, communautés délaissées par les pouvoirs publics et les institutions. Ces mouvements en santé communautaire étaient souvent issus de situations d’urgences sociales et sanitaires auxquelles le système de soin en place ne savait répondre, encourageant ainsi la créativité et l’innovation.

La santé planétaire ajoute à cela un devoir d’agir face au désastre écologique à la fois engendré et méprisé par les puissants et les dirigeants, au détriment des populations, communautés et individus les plus vulnérables. Considérant la santé des individus et des populations dans ces contextes de désordres environnementaux, elle prend en compte la situation géographique, sociale, culturelle, historique des communautés et envisage le désastre au regard des moyens dont disposent les populations pour y faire face.
L’analyse de la canicule de Chicago de 1995, réalisée par Eric Klinenberg, illustre le lien étroit entre santé communautaire et planétaire. Cette étude révèle le lien entre origines sociales, ethniques, isolement et augmentation du risque de mortalité au sein d’une même ville en cas d’évènement climatique extrême.
Ainsi, être un homme noir, isolé, dans un quartier pauvre et dont l’infrastructure sociale est dégradée, augmente le risque de mourir d’un facteur 10 en cas de canicule. Ce même homme vivant dans un quartier dans lequel la communauté est liée par des dynamiques d’échange et de partage réduit considérablement son risque de mortalité.

La crise écologique devient un facteur d’accroissement majeur des inégalités sociales de santé, mais les acquis de la santé communautaire sont un levier essentiel pour affronter et prévenir les conséquences des désordres environnementaux sur la santé.

L’engagement communautaire est un élément structurant de la dynamique de santé planétaire.

Si les finalités de la santé communautaire sont l’amélioration de la santé et du bien-être, la promotion de la santé, le développement social et la prévention, les perspectives de dégradation des conditions d’habitabilité, d’accès aux ressources vitales essentielles sont d’une telle ampleur qu’elles deviennent le sujet principal de préservation de la santé et du bien-être humain.
La santé communautaire, considérant que son devoir est de soutenir les communautés dans leur accès à la santé, en particulier les plus vulnérables et éloignés des préoccupations de l’État, aura nécessairement à faire face aux conséquences des désordres environnementaux subis par ces populations.
Ainsi, une démarche en santé planétaire ne saurait exister sans justice sociale, engagement politique et empowerment, qui sont définis comme les valeurs clés de la santé communautaire. Par ailleurs, l’application du droit de savoir est un levier dans le processus d’autonomie et de décision participative. Ces espaces d’interventions privilégiées sont communs à la santé communautaire et planétaires : les populations vulnérables, les peuples autochtones en particulier, le cadre de vie local et l’accès équitable aux soins et aux ressources de première nécessité.

La conceptualisation de la santé communautaire portée par Vonarx et Desgroseilliers selon laquelle « la santé s’incarne à travers des normes subjectives qui sont instituées par les personnes elles-mêmes, en réponse aux exigences rencontrées dans un milieu de vie », et s’appuyant sur les valeurs de normativité selon Canguilhem, ne tient pas compte des bouleversements écologiques majeurs que subissent et vont avoir à subir des communautés.
Canguilhem définissait la santé comme une « capacité toujours ouverte de réadaptation » aux variations du milieu dans la mesure où « par sa normativité, un vivant ne se contente pas de se maintenir : il crée de nouvelles normes ou règles de fonctionnement vital ». Cette possibilité de créativité et d’adaptabilité ne peut se concevoir que dans un contexte de stabilité globale du milieu nécessaire à la possibilité de redéfinition de règles et de normes par l’individu.
L’urgence écologique s’apprête à devenir le plus grand enjeu sanitaire de notre époque, des temps à venir, et probablement de l’histoire de l’humanité. Alors que l’urgence initiale de la santé communautaire était d’intégrer ou de réintégrer le destin des communautés marginalisées et paupérisées dans la mobilisation collective, l’aggravation de la dégradation des environnements de vie met largement en péril la santé humaine.
Comme nous le rappellent les inondations récentes du nord de la France, les impacts de la crise écologique sont planétaires et chaque communauté aura, en son sein, des défis à relever dans ce sens.

La démarche en santé planétaire ne peut exister sans se revendiquer des concepts et valeurs de santé communautaire. La santé communautaire contemporaine doit, quant à elle, nécessairement intégrer la conception planétaire pour affronter les défis d’agir pour la santé des populations, des communautés, engagement qui porte le mouvement depuis plus de cinquante ans.

Références
J. Massé, A.-C. Harvey, M. S. Goyette, A. Gaudens, B. Roy, « Santé communautaire  : un paradigme pour penser et agir autrement en santé », Aporia 2020, 12 (1)
WONCA, Déclaration appelant les médecins généralistes du monde entier à agir en faveur de la santé planétaire, 2019.
S. L. Prescott,. A. C. Logan, G. Albrecht, D. E. Campbell, J. Crane, A. Cunsolo et al., « The Canmore Declaration : Statement of Principles for Planetary Health », Challenges, dec 2018, 9 (2):31.
E. Klinenberg, Canicule. Chicago, été 1995. Autopsie sociale d’une catastrophe, Lyon, Deux- cent- cinq Editeur, 2022

par Léa Schleck, Pratiques N°104, avril 2024

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