Séraphin Collé
Médecin généraliste
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- La médecine connectée avec ses méls sécurisés peut être une source de souffrance éthique en entraînant un écart entre le travail prescrit et le travail réel.
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Génération X, homo informaticus, né avec l’informatique et ayant grandi avec Internet, féru des dernières technologies, je suis fier d’être connecté dans ma vie personnelle et professionnelle. Mon éducation (Nationale et médiatique) m’a forgé un cortex visuel capable de capter chaque pixel d’information sur les écrans cathodiques puis plats. Mes doigts ont été initiés à jongler avec les claviers, à pointer, cliquer avec une souris. Maintenant j’interagis directement avec les écrans tactiles et maîtrise les nouveaux gestes pour zoomer ou scroller [1]… Tous ces objets me suivent, m’accompagnent, voire me précèdent. J’allume mon smartphone le plus souvent avant de boire mon café pour l’éteindre au coucher ; je me dis qu’il faut que je sois joignable en cas d’urgence ou pour mes proches. Mais je reconnais que je suis addict aux mails, courriel-dépendant.
Internet a fait irruption dans ma vie d’abord à bas débit puis à très haut débit, en offrant des infos, du son, des images, des vidéos, je me suis gavé de tout ce qu’il apportait et ce d’autant qu’il avait le goût du fruit défendu. Bien sûr, Internet m’a permis de communiquer, voire trop (j’utilise quotidiennement trois adresses de messagerie). Tous les matins, je les ouvre, les trie, supprime les pourriels, réponds aux urgences, ou les transfère… Les groupes de discussion constituent le plus grand nombre des méls. Ils sont encombrants, certes, mais je me suis accommodé de cette pléthore. J’ai appris à identifier les auteurs ou les thèmes qui m’importent et que je lis rapidement, ou plus attentivement. Les autres sont archivés puis supprimés au bout de quelques mois quand la boîte aux lettres est saturée. Je les considère comme un contact social avec mes communautés de pensée. La saturation de mes méls non lus a pu me pousser à me désabonner à certains groupes, mais je garde la plupart car ils me gênent peu et remplacent les réseaux sociaux que j’ai toujours refusé d’utiliser. Il est cependant une situation qui me met beaucoup plus mal à l’aise et qui constitue maintenant un dilemme éthique.
J’ai toujours mis un point d’honneur à terminer ma journée de travail par la lecture du courrier. Cela constitue un dernier effort pendant la télétransmission des feuilles de soins électroniques en me donnant des directives pour le lendemain. Désormais Medimail est entré dans ma vie et me hante chaque jour. Issue de la volonté partagée des URPS [2] et des hôpitaux de dématérialiser et de sécuriser les correspondances, Medimail est une boîte aux lettres sécurisée réservée aux professionnels de santé inscrits. Chaque soir, je constate qu’il y a dix à vingt méls qui émanent d’un correspondant service ou hôpital. Chaque mél ne me permet pas d’identifier le patient, il faut d’abord ouvrir le message, localiser et cliquer sur le lien hypertexte proposé. En effet, la plupart de ces méls ne contiennent pas de texte directement de l’émetteur, mais une pièce jointe. En cliquant sur ce lien, on accède à un identifiant et un mot de passe qu’il faut retaper régulièrement. Souvent la lassitude ou la fatigue m’empêche de lire tout ça comme ça. Mon dernier effort consiste à transférer ces messages non lus à l’adresse de notre secrétaire qui s’emploiera à ouvrir ces pièces jointes et à les archiver dans les dossiers patients.
Je sens que je ne remplis plus mon devoir vis-à-vis de mes correspondants ni de mes patients, mais cette tâche informatique a franchi un seuil qui ne s’accorde plus à des fins de journée trop chargées. J’assume plus facilement maintenant en écrivant ces lignes cette démission partielle, car elle constitue à mon sens une réelle aggravation de mes conditions de travail de médecin généraliste. Je me mets donc en résistance, sentant intuitivement que cette évolution pourrait se faire au détriment de la personnalisation de mes prises en charges qui cherchent à privilégier l’autonomisation des patients. Est-ce au détriment de la santé de mes patients ? Je ne le pense pas. Je ne veux pas être le médecin connecté hyperactif qui ne sait plus réagir que dans l’instant. La lecture et l’écriture demandent un temps et un espace dédiés pour que le processus de maturation réflexive soit opérant. Je préfère privilégier l’espace et le lieu de la consultation où la parole et les regards constituent j’espère un soutien bien plus précieux que mes prescriptions.