Manon Barbeau : processus créatif et réalisations

Complément à l’entretien figurant dans le dossier du n° 88 de Pratiques

Bernard Roy : Quels liens y a-t-il entre votre processus créatif et la jeunesse ?

Manon Barbeau : Je suis une cinéaste qui, depuis longtemps, s’intéresse à l’enfance. Mon premier film, réalisé en 1975, avait pour titre Comptines. L’action de ce court-métrage se déroulait, au printemps, dans les rues et ruelles de quelques quartiers de Montréal. Ce film montrait des petites filles de la métropole jouant au bolo, à la corde à danser au ballon en chantant de joyeuses comptines. À l’écran, avec une certaine insouciance, elles déployaient une liberté que bien des adultes ont perdue. En 1981, je réalisais Nous sommes plusieurs beaucoup de monde. Le titre de ce court-métrage me fut inspiré de la parole d’enfants atteints de déficience mentale qui confectionnaient des broderies dans les ateliers de l’organisme communautaire le Fil d’Ariane, dans le Vieux Montréal.

Mon parcours m’a par la suite amenée à rédiger des scénarios pour l’émission jeunesse de Radio-Canada, Le club des 100 watts. Pendant quelques années, toutes les semaines, je me suis affairée à rédiger des fictions qui s’adressaient à des jeunes de 8 à 12 ans. L’âge de mes propres enfants à l’époque. À travers cette émission jeunesse, je souhaitais transmettre des messages pour soutenir les familles dans leur recherche d’équilibre et pour le bien-être des enfants.

Plus tard, en 1998, à l’occasion du cinquantième anniversaire du lancement du manifeste Refus global, je réalisais le film documentaire Les enfants du Refus Global. Étant la fille de Marcel Barbeau, un des 15 signataires du manifeste de 1948, cette production m’a permis de résoudre quelques questionnements qui m’habitaient depuis mon enfance. Le manifeste du Refus Global revendiquait, à juste titre, une liberté bâillonnée par une société sclérosée et dominée par les valeurs du clergé. Une époque qu’on qualifiera, plus tard, de « Grande noirceur ». Le manifeste marquera, à jamais, la culture et la société québécoise. Sa publication, au milieu du XXe siècle, aura cependant de grandes conséquences dans la vie des familles. La liberté revendiquée par le Manifeste était difficilement conciliable avec les valeurs familiales de l’époque. Avec les enfants du Refus Global, en donnant la parole à celles et ceux qui ont payé le prix de la révolte de leurs parents, j’ai davantage pris la mesure du pouvoir d’une parole libératrice… créatrice.

Ce n’est pas un hasard si, un an plus tard, je réalisais le long-métrage documentaire L’armée de l’ombre, un film dans lequel j’offre un espace de libre parole à des punks de la ville de Québec. Une quinzaine de jeunes garçons poqués par des enfances difficiles, marqués par l’absence du père ou par sa trop violente présence qui, le plus clair du temps, vivaient dans la rue. Ces jeunes laissés-pour-compte portaient à l’écran un jugement sur le monde qui les entoure et qui pousse, trop souvent, des jeunes comme eux à mettre fin à leurs jours.

J’ai souhaité, par la suite, reproduire la démarche cinématographique avec d’autres jeunes. Lors d’un voyage sur la Côte-Nord, avec mon compagnon de l’époque, je suis entrée, par hasard, dans une communauté innue. En rencontrant ces gens, j’ai réalisé à quel point il y avait une rupture entre leur monde et celui des non-autochtones.


par Manon Barbeau, Bernard Roy, Pratiques N°88, février 2020

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