Lu : e désespoir amoureux de la vie – L’anorexie, un mystère galvaudé, *

Présenté par Isabelle Lagny
Médecin du travail

Dans ce beau livre qui n’est ni un témoignage, ni une discussion savante sur le sujet, mais une exploration des profondeurs, Brigitte Giraud nous parle de l’anorexique. Elle nous dévoile les pensées intimes, les égarements et les espoirs de femmes et de jeunes filles atteintes de la terrible maladie. Et contre toute attente, l’auteur nous prend par la main et guide notre pensée. Elle nous fait pénétrer dans les entrelacs de l’intimité partagée avec ces femmes hospitalisées et prises en charge dans le service du Pr. Claire Series à Bordeaux. Non pas pour étaler platement des anecdotes, mais pour en extraire le sens, le suc de cette terrible maladie qui devient mode d’exister pour éviter le pire, pour ne pas se dissoudre. Tout se passe comme si elle nous parlait à voix basse chuchotée, nous transmettant avec beaucoup de délicatesse les confidences consenties sur un banc d’hôpital, nous les restituant sous la forme d’une réflexion souvent nourrie de métaphores. Penser toujours plus loin suppose de se jeter dans l’arène sans filet, en imaginant ce qui manque, le tissant par la grâce de sa propre vision ou à partir des points de rencontre de paroles rassemblées. Nous nous approprions ainsi à notre tour cette expérience existentielle de l’anorexique, projetés alors à des années-lumière d’un discours réducteur et stigmatisant sur l’anorexie-perversion. Se dresse alors devant nous une souffrance, mais aussi une dignité insoupçonnée, une véritable tentative de vivre et d’aimer désespérément que Brigitte Giraud présente comme une parade à une violence subie il y a longtemps.
Nous partons ainsi en voyage poétique, langage familier à l’auteur, qui nous promet révélations sur révélations. Les médecins ne sont pas habitués à prendre de tels détours pour connaître le malade et sa maladie. Il semble que dans la situation de l’anorexie plus que dans toute autre, le mystère épais qui l’englue, la paucité des connaissances médicales, les discours inappropriés et dévalorisants sur les patientes compromettent lourdement notre souhait d’atteindre un jour l’île de toutes les clartés. Lire ce livre nous délivre enfin de cette opacité obligatoire. Une action qui nous amène à un regard plus juste, plus humain à la rencontre des patientes, les indigènes de l’île. Un phare nous est donné avec générosité, et nous, aveugles en mal d’action, nous comprenons soudain la nécessité du symptôme à un moment donné dans l’économie psychique. Car une fois le coup reçu, il faut tenir avec l’anorexie, mais ne pas disparaître. Pourvu que celle-ci n’en meure pas, pensons-nous à juste titre tout en nous évertuant dans d’autres lieux, pour elle, à décrypter les dysfonctionnements du corps. Et Brigitte Giraud de commencer son cheminement par : « Dans une histoire humaine le corps, dans son entier résiste parfois à la vitesse du temps. » Puis elle explique sa démarche : « Oui je veux, humble parmi les humbles, me tenir, à la fois à côté de celles qui souffrent de ce mal, et tout près de ceux qui soignent, accompagnent toujours, défendent la force de la vie contre la mort et le droit inaliénable de chacun d’entre nous, malade ou non malade, à être accueilli et reconnu dans son immense fragilité humaine. »
Comme un portrait réussi par le photographe suppose un regard et une pensée en mouvement, le récit se déploie sans omettre d’épouser les forces vives et l’intelligence qui animent l’auteur. Un livre à lire et à relire.
Texte précédé d’un avant-propos du Pr Claire Series, d’une préface du Pr Gérard Osterman et clôturé par les paroles rassemblées de patientes anorexiques et de leurs infirmières.

Brigitte Giraud, présidente d’une association théâtrale, Le théâtre des Tafurs, est en outre l’auteur d’un roman et de recueils de poésie en prose : Des Ortolans et puis rien en 2005 et La nuit se sauve par la fenêtre, Édition Pleine page, prix Jean Follain en 2006.

* Brigitte Giraud, Le désespoir amoureux de la vie – L’anorexie, un mystère galvaudé, Éditions Le bord de l’eau, avril 2009.


par Isabelle Lagny, Pratiques N°51, décembre 2010

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