Lu : Ma province *

Présenté par Martine Devries
Médecin généraliste

Un médecin qui décrit sa pratique, c’est banal, mais « La province » se situe à 101 km de Moscou, et le narrateur est nommé en 2005 cardiologue dans cette petite ville, il en est heureux, et doué d’un esprit critique et d’une plume épico-comique qui m’a captivée, et touchée.
Il est d’abord heureux parce qu’il se sent « bienfaiteur », puis se réjouit « de ce que le côté sentimental commence à s’effacer », pour devenir plus médical. On perçoit qu’il reste cependant attentif, bienveillant avec ses patients, ce qui ne l’empêche pas de les considérer sans indulgence, à l’aide d’une vision poétique et littéraire de la vie. Le texte est parsemé de références, la plupart russes (Gogol, Mandelstam, Tolstoï, Tchékhov, Pouchkine, Soljenitsine…), il est caustique, drôle et bien sûr, en critiquant ce qui se passe dans cette province, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ce qui se passe dans la mienne ! Le livre est plein de ce que nous appelons dans cette revue des visages, on comprend qu’il est indigné par la situation qui est faite au « peuple », mot dont il déteste le côté condescendant. Indigné aussi par la bureaucratie, les « bandits », l’alcoolisme. Il souligne certains traits du système russe actuel, dont nous ne sommes pas complètement dépourvus : « l’argent, mythe principal », « si légère que soit la main qui leur est tendue, les gens s’imaginent qu’elle va leur faire les poches », il fustige l’absence de médecin traitant, « le malade écoute le dernier sur qui il tombe », il constate la persistance de l’antisémitisme, l’hôpital est « Judenfrei » ! Il dit aussi, « être juif ici, c’est difficile, mais c’est légal ! » La novlangue russe existe aussi, que l’auteur refuse d’apprendre… Il choisit plutôt, pour communiquer avec les autorités « de pianoter sur toutes les touches comme avec un logiciel qu’on ne connaît pas : parfois ça marche. » Et ça marche puisqu’ils ont obtenu, lui et son collègue, assez de matériel et de financement pour créer un service de réanimation cardiologique. Vient alors le récit d’un conflit avec d’autres autorités, qui fait du bruit dans toute la Russie et qui est soutenu par une pétition internationale sur Internet.
– « Comment les gens simples apprécient-ils votre action ? »
– « Ils se sont mis à mourir moins. »
Ce récit, c’est celui du petit contre le gros, du médecin contre la maladie, et qui reste à côté du malade, modeste, et plein d’humour, tout ce que j’aime !
Le deuxième récit de ce volume, « La rencontre », est une fiction contemporaine qui met en jeu, à Moscou, dans la période actuelle, un cardiologue déprimé, en deuil de sa vieille mère qu’il n’a pas su sauver… et les rencontres qui lui permettent de franchir et de dépasser ce marasme. Dans une Russie actuelle sans pitié, la finesse et la poésie émergent, au travers de la vision d’un médecin et c’est un grand plaisir.

*Maxime Ossipov, Ma province, Éditions Verdier, 2011


par Martine Devries, Pratiques N°54, juillet 2011

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