La réforme de la formation des infirmiers sonne-t-elle le glas d’un métier de soignant « inadapté » à un modèle économique qui veut passer la santé au crible de la rentabilité ? Ainsi, si le mythe de l’infirmière « plus qu’humaine » a du plomb dans l’aile, quel autre mythe cherche-t-on à lui substituer ?
De multiples enjeux se croisent, voire se chevauchent. Du côté de l’institution, la volonté de contrôler les budgets domine, en valorisant le développement ambulatoire des soins sans prendre en compte la temporalité de la personne. Les infirmiers, eux, réclament un meilleur sort que celui qui leur est fait, mais ont bien du mal à dissocier les questions de statut, de rémunération, de condition d’exercice, de qualité des soins et d’estime de soi.
L’idée de donner à ces études un statut universitaire pourrait contribuer à leur valorisation, mais elle fait courir le risque d’une académisation de la profession, qui éloignerait la formation de la réalité du terrain, de la proximité nécessaire avec la subjectivité des patients. Elle risque également de priver la profession de ceux qui, peu tentés par l’université, seront dissuadés, voire éliminés par une sélection qui répond davantage aux canons universitaires qu’aux qualités humaines et pratiques qu’exige l’exercice. Or, on ne peut pas dissocier ces valeurs de proximité de leurs racines éthiques et philosophiques ni des connaissances qui doivent les accompagner.
La proximité avec les patients se construit autant dans le développement des savoirs pratiques et théoriques, que dans celui du pouvoir-être-soignant et des savoir-faire. La recherche qui doit accompagner et soutenir ces savoirs complexes doit donc s’en faire le révélateur et le support, participer de leur conceptualisation sans jamais perdre de vue que l’objectif essentiel de la formation est de donner aux soignants la capacité de faire face aux situations présentées par les patients.
Pour les professions paramédicales, la formation à des métiers dont les implications humanistes sont manifestes, et sans cesse soulignées par les soignants comme un bénéfice majeur, ne saurait se dérouler sans un compagnonnage éprouvé et compétent. Il s’agit de transmettre les expériences concrètes de la complexité des situations cliniques et stimuler le questionnement qui doit les nourrir. C’est le fondement même de l’originalité et de la richesse de ces professions. Ce sont le travail en train de se faire, l’intelligence que cela suppose et non pas les protocoles, les procédures, les prêts à penser et agir, qui doivent présider à la formation.
Ce numéro veut poser la question des savoirs indispensables et de la priorité de l’observation et de l’apprentissage sur le terrain, en constante adaptation aux intérêts des patients, ainsi que des conditions nécessaires à l’équilibre des soignants. La profession étant majoritairement féminine, à plus de 80 %, il est habituel de parler des « infirmières », ce qui ne constitue pas pour autant un déni de présence des hommes en son sein. Merci aux lecteurs de faire la conversion.
N°54 - juillet 2011
— Dossier —
Infirmières, la fin d’un mythe ?
Pratiques N°54, juillet 2011