Présenté par Anne-Marie Pabois
Médecin généraliste retraitée
Dans la catégorie « réalité des situations cliniques », sous-catégorie « les travailleuses agents de surface », lisez Florence Aubenas.
Cette journaliste écrit la quête de travail d’une femme, celle qu’elle a prétendu être en s’inscrivant au chômage sans qualification sinon le baccalauréat, quête qu’elle avait décidé d’arrêter dès qu’elle décrocherait un CDI. Elle décrit sa galère et ce qu’elle voit de la galère des femmes qui rament depuis longtemps dans ce travail de nettoyage minuté. Vécu « à la base », ce travail invisible est accompli au pas de charge par du personnel invisible, celui d’équipes de femmes, le plus souvent, dont le temps est toujours compté et toujours surchargé, dont le corps nié et invisible, est toujours plus sollicité et toujours plus souffrant. Ce métier répond aux obsessions hygiénistes de nos contemporains, mais enfreint en permanence le Code du travail. On se demande même comment, dans cet état d’épuisement physique et mental, il peut encore exister des femmes syndicalistes. Et parfois des femmes qui viennent en aide à d’autres comme pour Florence, qui, toujours maladroite et lente, est « une guigne pour celles qui ont la malchance de l’avoir comme coéquipière. » L’auteure, par son écriture sobre dépourvue de tout pathos et misérabilisme, met à la disposition du lecteur un document réaliste, une observation qu’on pourrait qualifier de « clinique », des conditions de travail des femmes dans le monde du nettoyage, document pouvant s’avérer utile à tous ceux, citoyens lambda ou responsables politiques, syndicalistes ou soignants qui ne connaissent pas dans leur corps ou chez leurs proches, la réalité du travail dans ce secteur majoritairement féminin où se broient les corps sous la houlette de négriers : une forme d’esclavage moderne.
Ce recueil de données pourrait aussi être la base d’une analyse critique des méthodes utilisées, lors de la formation des professions de santé. Un exemple : pourquoi la méthode de recueil de données utilisée ici (où l’observateur est immergé dans le même travail que les personnes qu’elle observe) est admise depuis longtemps par la plupart des sciences humaines, alors que l’étudiant en médecine doit éviter toute implication et doit se « mettre à distance », règle de base permettant une observation de type « scientifique », dépourvue d’émotion. Pourquoi ces deux attitudes ? Tenants et aboutissants de ce choix ? D’autre part, on pourrait relire les données concrètes collectées par Aubenas sur le terrain, en s’en servant de base commune à faire passer à travers des grilles de lecture des différents référentiels métiers. Chaque profession fait une lecture différente du même matériau : là où un médecin du travail signalera l’entrée dans une maladie professionnelle, le légiste stigmatisera les atteintes au droit du travail. Découvrir les différentes approches de l’humain, découvrir les outils utilisés par chacun, utiliser les outils d’autres professionnels nous permettrait de mieux connaître nos différences et nos convergences et améliorerait le travail en équipe.
*Florence Aubenas, Le quai de Ouistreham, Éditions L’Olivier, 2010.
