Proposé par Lionel Leroi-Cagniart
J’accuse l’Urssaf. Dès le titre, on imagine un patron se plaindre. Pas du tout. Un inspecteur de l’Urssaf accuse son employeur de ne pas l’avoir protégé. L’histoire déborde la condition du travailleur pour dire comment s’organise un système d’intérêts parallèles limites mafieux contre lequel sa fonction lui impose de combattre. D’un côté, le citoyen dénonce et de l’autre, le salarié raconte la souffrance au travail d’un fonctionnaire lâché par sa hiérarchie. Ils dressent les contours d’un système français sur le point d’accoucher d’un monstre… depuis un moment déjà.
J’accuse l’Urssaf de Philippe Pascal, aux éditions Atlande, paru en 2021, nous régale de 275 pages bien remplies. Cet ouvrage pourrait s’adresser à n’importe quel lecteur si le niveau d’exigence de l’éditeur avait été au rendez-vous. Quelques formulations poussives et un sentiment de déjà lu à différents moments de la lecture. Un bon récit quand même. Un chouïa plus travaillé, ce texte pourrait passer la barre du grand public. On a presque envie de dire : quel dommage ! Parce que les sujets, eux, sont au rendez-vous d’un intérêt majeur. En effet, ce texte traite de l’impunité des puissants face à leurs obligations sociales et de la souffrance des salariés et des fonctionnaires en particulier qui ne peuvent plus aujourd’hui, dans un système néolibéral, accomplir leurs tâches dédiées au service du plus grand nombre.
C’est donc l’histoire d’un contrôleur de l’Urssaf chargé de veiller à ce que les cotisations entrent dans les caisses de l’État. Une illustration à travers un exemple. Celui d’un président de Chambre de commerce et d’industrie, patron de quelques sociétés en tous genres, notable comme on dit, qui plus est cousin d’un sous-ministre et pris la main dans le pot de confiture de la fraude à grande échelle. Pour décrédibiliser l’agent de l’État, tout y passe : l’intimidation, la menace, l’agression, des accusations en cascade en guise de détournement d’attention de la populace qui vote à l’occasion et dont il faut conserver l’estime. Quitte à manœuvrer comme des voyous. Un bon polar, plus vrai que nature. Tout se déroule dans le sud de la France, pays de cocagne aux gens bien nés. La France, où trois fois moins de fonctionnaires luttent contre le travail dissimulé représentant 20 milliards, tandis que trois fois plus de contrôleurs courent après la fraude des petites gens qui représente vingt fois moins ! Philippe Pascal nous offre une démonstration radicale de ce pays perclus de commentaires voraces et tendancieux à l’égard des plus faibles quand il s’agit d’apparaître soi-même du côté des honnêtes gens. Tout y est de la démonstration de ce qui nous arrive et de ce qui risque de nous déborder demain. À lire donc pour comprendre ce qui se met en place… économiquement, socialement, politiquement.
Ce n’est pas tout. Philippe Pascal pousse le curseur et peint le tableau d’une souffrance en France que Christophe Dejours ne renierait pas. L’auteur de J’accuse l’Urssaf, préfacé par Nicolas Vescovacci, journaliste d’investigation, raconte comment un employeur, un service majeur de l’État, l’Urssaf en l’occurrence, s’organise pour protéger de vilaines manières des coquins aux sourires angéliques en public et carnassiers dans les prétoires. Face aux puissances d’argent, la démonstration est faite qu’avec un peu d’entre soi, d’entregent et de copinage, le salarié lambda, tout contrôleur assermenté qu’il soit, peut se retrouver au fond d’un abîme de dépression et d’une envie d’en finir.
Enfin, l’auteur nous raconte les soutiens qu’il a rencontrés durant ses longues années de batailles auprès de syndicalistes, de militants, de sympathisants et même de combattants émérites. Tous ayant en eux un désir de justice. Ah ! Tiens, justement, cette justice n’a rien d’une vertu quand il s’agit d’un ministère. Ce serait bien de ne pas avoir à choisir d’y croire ou pas. Ce serait bien que les mots nous aident. La justice ou l’administration de la justice ? Pour éviter d’avoir à généraliser, nous devrions commencer par mettre à l’endroit le langage pour mieux nous représenter cette justice. L’administration de la justice, oui, pas LA justice. C’est un piège de la pensée, un collet au pied du raisonnement, aurait pu dire un des personnages de 1984.
Pour conclure, reprenons une citation de Michel Audiard mise en avant en début de chapitre : « La justice, c’est comme la Sainte Vierge, si elle n’apparaît pas de temps en temps, le doute s’installe ».
* Philippe Pascal, J’accuse l’Urssaf, éditions Atlande, 2021