Les pompiers pyromanes

Le contrat social de la fonction publique hospitalière (FPH), lors de sa création (1986), était fondé sur le principe de l’obligation de moyens. Ainsi, pour une population et un territoire donné, les moyens mis en œuvre devaient être à la hauteur des besoins et les décisions politiques devaient pourvoir à ce mode de fonctionnement. Le système de santé était administré par la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS).
En 2005 l’équipe Chirac/De Villepin nomme Jean Castex directeur de la DHOS. Il préparera de l’intérieur du ministère de la Santé la transformation de la DHOS en DGOS, direction générale de l’offre de soins. En 2007, il deviendra directeur de cabinet de Xavier Bertrand superministre sous Sarkozy. En 2010, il intégrera l’équipe de l’Élysée en tant que conseiller technique en charge des questions sociales, puis secrétaire général adjoint de la présidence. C’est à ce moment-là que la DHOS sera transformée en Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et qu’il mettra en œuvre la tarification à l’activité, clé de voûte de l’hôpital entreprise…
Pendant la même période, la doctrine de l’obligation de moyens sera remplacée par celle de l’obligation de résultat. Il s’agit en fait de passer d’une organisation des soins basée sur la solidarité à un système libéral basé sur la logique de l’entreprise où seul le résultat compte. Ainsi l’organisation des soins dépendant de l’obligation de moyens deviendra l’offre de soin principalement définie par la rentabilité.
Et pratiquement tout change, les hôpitaux se retrouvent en déficit, ferment des lits et rognent sur tout et en particulier sur les postes de soignants. En fait, un certain nombre d’hôpitaux se sont retrouvés en déficit beaucoup plus tôt, nous semble-t-il, quelques années après la mise en place du budget global, soit fin des années 1980. Le nombre d’hôpitaux touchés, leur niveau d’endettement n’ont fait que s’accroître ensuite
Si nous nous référons à l’obligation de moyens, qui reste ancrée dans la tête des soignants, les victimes des carences du système de santé mises en évidence lors de cette pandémie de Covid-19 (défaut de masques, de lits et de matériel de réanimation, manque de personnel, retard dans la prise de décision) pourraient exiger que les responsables de cette incurie soient sanctionnés. Hélas, dans le cadre de l’obligation de résultat, le gouvernement et les dirigeants successifs de la santé peuvent se défausser de leur responsabilité en invoquant des responsabilités extérieures : « ce n’est pas le gouvernement qui a été imprévoyant, ce sont les fournisseurs de masques ou de matériel qui ont été défaillants, c’est le comportement de la population qui est fautive de la propagation du virus… ». Autrement dit, la remise en cause de la conception de « l’hôpital entreprise » et de sa dangerosité, mise en évidence lors de cette catastrophe d’une ampleur inédite et reconnue par le chef de l’État lui-même, risque fort de rester lettre morte…
Pratiques ne cesse de dénoncer les risques de cette conception du système de santé. À ceux qui se targuent de vouloir des résultats, ces derniers se chiffrent en milliers de morts, or, un des principaux acteurs du dévoiement du système de santé est aujourd’hui Premier ministre… Cherchez l’erreur !

La rédaction


par revue Pratiques, Pratiques N°90, juillet 2020

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