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- Récits d’ateliers d’écriture avec des participants volontaires, des adultes et des adolescents, curieux de découvrir, d’explorer cette approche. Ces ateliers se sont déroulés au sein d’établissements aussi divers qu’une clinique ou un hôpital, qu’un centre culturel ou une librairie.
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La participation aux ateliers ne nécessite pas de niveau de maîtrise de l’écriture, juste l’envie de venir. La biblio-thérapie, néologisme, se présente comme un soin avec et par les livres, une mobilisation de la littérature comme pansement. L’atelier interroge de fait, non seulement la « guérison » attendue par l’écriture, mais aussi la lecture et son processus. Me viennent à l’esprit les recommandations d’un animateur d’atelier : lire le matin au réveil un vers ou deux, un bout d’article, une citation comme un repère pour la journée, un mantra, une mise en route. Cette voix me parle, le matin. Penser au soir. Rejoindre mon lit avec avidité pour lire encore la suite de l’histoire, le feuilleton, le chapitre, rêver encore du personnage du roman commencé, aimé et détesté. Tout à la fois, en silence, se jouent les injustices, les ruses de l’histoire (Au revoir là-haut, Pierre Lemaitre).
Soigner ? Très vite, j’ai compris que la prescription était illusoire, un roman de type proustien guérisseur de maux de ventre, un poème rimbaldien contre des insomnies… ça n’existe pas, ça n’existe pas. Il arrive que le roman soit soporifique, le vers lourd et mortifère, la nouvelle cruelle. Alors cette approche anglo-saxonne du soin direct par le livre est-elle une vue de l’esprit, une recherche d’antidouleur, un remède total ?
Des ateliers d’écriture que j’anime, je rapporterai des observations qui scandent une pratique, une attention aux mouvements créatifs des participants. Le texte comme support, la littérature comme cadre. L’écriture d’un dialogue à plusieurs est engagée. L’une des participantes écrit une question, la deuxième personne y répond, et le texte continue à s’écrire en passant de main en main, de la question à la réponse. L’intention de cette approche reprend le titre de l’article de Virginie Malingre : « Des livres sur ordonnance. ». Il s’agit de s’intéresser à des choses ordinaires, des lieux familiers : le salon de coiffure, le supermarché, le palier, où s’engage une conversation entre un premier personnage, engagé dans sa tâche à réaliser, du salon de coiffure, supermarché, au paillasson à secouer. Le second personnage, dit « le patient », parle, en a besoin, prend la place jusqu’à envahir le temps et cette place pour dire de lui ce qu’il n’a pas pu dire ailleurs. Il a enfin quelqu’un à qui parler, quelqu’un qui va savoir ce qu’il vit ? Écrire à plusieurs mains, se répondre, interpeller la réponse de l’autre, se mettre à la place du personnage, du narrateur, respecter le style engagé. Se multiplient ici et là les interactions à propos d’un texte en train de s’écrire. Des situations cocasses, des malentendus se faufilent entre parole et écriture. Chacun entend la proposition, comprend selon l’instant. Aucun texte n’est considéré comme hors sujet. Il n’y a pas de produit fini attendu.
Une autre façon d’entrer dans le travail de l’écriture : venir en atelier avec une photographie d’un ami, d’une connaissance qui pose avec un objet qui lui est cher. Que raconte l’objet ? Les participants de l’atelier créeront des liens entre la personne photographiée et l’objet, des réalités possibles, en imaginant des scénarios.
Ces explorations par l’écriture de souvenirs réels ou de fictions engagent la rêverie et des projets de réécriture. Écrire appelle à la réécriture, à lire et relire la première mouture élaborée en atelier. Parfois, je propose d’écrire chez soi, les participants le demandent aussi. C’est le lien d’un atelier à l’autre. La lecture de ces textes écrits à la maison (textes-maison) ouvre alors l’atelier. Écrire ensemble, écrire seul en pensant à la lecture. Les textes sont adressés aux lecteurs, à leur écoute. Les « retours », les commentaires de réception du texte sont très attendus.
Que disent les textes ? Que veulent-ils dire ? À aucun moment l’auteur n’a obligation de répondre. Dès l’ouverture de l’atelier, je précise que le jugement est suspendu à propos des textes produits. L’analyse est littéraire : les trouvailles, les figures de style, l’histoire.
Le texte soigne-t-il ? Je sais seulement les effets quand les participants reviennent, font des demandes : « On ne pourrait pas avoir plus de retours sur nos textes ? Tu nous écris entre deux ateliers ? ». Juste après la lecture en atelier, je relève une ou deux choses qui caractérisent le texte : « le rythme de la phrase, les images créées, le détail qui… ».
Friands de ces remarques, les participants en demandent plus encore. Prudence. La répartition du temps pour chaque texte s’impose, un risque d’injustice plane, le sensible de l’écriture fait surgir la demande, le besoin d’être écouté, entendu. Je rappelle le cadre bienveillant. Si des maladresses de communication surviennent à propos du texte lu, le participant est invité à le mettre en voix, à le faire entendre. Un jugement sur l’écriture d’un texte est à éviter à tout prix. Rolland Barthes définit l’écriture comme une peau caressée ou griffée : matière sensible, à fleur de peau. Les pleurs arrivent à la lecture d’un texte ou à l’écoute d’un texte. Les rires et fous rires aussi.
L’atelier trouve sa force grâce à la dynamique du groupe fondée sur la réception des textes, l’écoute comme soutien au texte naissant. Aussi disparate que soit le groupe, la proposition d’écriture que je lance rassemble, centre l’objet de la rencontre. Il me revient de tenir en haleine le sens de cette proposition, de me préparer aux demandes d’explicitation, à les donner au compte-gouttes. Le suspense porte l’intention de la découverte. Il s’agit de minimiser le processus d’anticipation, mouvement fréquemment mobilisé par le participant. Ce dernier veut connaître, je l’ai souvent constaté, l’ensemble de la proposition d’écriture dans la perspective de répondre à une consigne. Or, la démarche pédagogique de l’atelier est de désamorcer la maîtrise du geste d’écrire. Savoir d’avance n’est pas de mise. Créer un climat de confiance se traduit dans des toutes petites choses telles que la préparation de la salle : un lieu, un espace toujours le même (chaises disposées, café tenu au chaud, feuilles de couleur sur la table). Dédramatiser les avis sur le texte écrit : « C’est court, c’est nul, je ne suis pas inspiré, j’aurais voulu et puis… ». Souvent les demandes de « correction » du texte surgissent – en écho au système scolaire autoritaire - vite de retour dans un atelier qui se veut créatif.
Le devenir de ces textes d’atelier ? Il est fréquent qu’une lecture à voix haute s’organise au Printemps des poètes, aux fêtes francophones, au café littéraire. Réunir ces textes, les relier par thématique ou de façon chronologique, crée l’objet à voir, à transmettre, à publier sur un blog, un journal municipal, une gazette. Les textes sortent de l’atelier. Ils se donnent, s’offrent et se laissent lire. L’auteur se détache de sa production, celle-ci appartient dès lors au lecteur.
Alors biblio-thérapie ? Biblio-créativité ? Biblio-relationnelle ? Comment nommer le mouvement qui crée une concentration sur la pratique créative dans un climat d’écoute active ? L’auteur se surprend à chaque moment de l’inventivité au cœur de ses textes, lui qui n’imaginait pas créer un tel texte : est-ce lui l’auteur ou un autre ? Étonnement.
L’atelier puise sa force du va-et-vient du texte à son écoute et des liens qui se tissent entre les participants. Pour Didier Anzieu, c’est l’instant du processus créatif où le texte s’éloigne de l’auteur pour laisser place au lecteur. Ce dernier aménage le texte avec sa sensibilité d’écoute. Sont soumis à l’épreuve le respect dû au texte, et à son auteur avec ses tics d’écriture et ses façons d’être. L’écriture poursuit son chemin, soutenue, accompagnée par les retours d’un atelier à l’autre. Souvent, ce sont des récits qui se déploient à partir de textes non-écrits. Le mouvement qui se crée autour d’un texte écrit, ou lu à l’atelier éveille la circularité créative, comme une roue qui entraîne, un mot, une image, une façon d’écrire pour nourrir la pratique personnelle de chacun. Écrire produit, aussi, quelques anagrammes sonores (organisation revue des lettres, déplacement des lettres) : crier, écrir-e ; lire, élir,e ; ou bien encore le palindrome (mots qui se lisent à l’envers, rêver, ici) comme signature des transformations produites par le sens convenu d’un code bien huilé.
Écrire, lire, soigner ? Solliciter l’imaginaire, les associations d’idées, détourner l’attention, ne serait-ce que le temps de l’atelier, d’un processus de soin médical pour créer, participe à forger une autre façon de se concevoir et d’envisager un espace à soi créatif.
Références bibliographiques
Anzieu Didier, Le corps de l’œuvre, Paris, Gallimard, 1981
Barthes Rolland, Le plaisir du texte, Variations sur l’écriture, Paris, Seuil, 2000
Detambel Régine, Les livres prennent soin de nous, pour une bibliothérapie créative, Paris, Actes Sud, 2015
Malingre Virginie, « Des livres sur ordonnance », Le Monde, 23 juillet 2011.
Ouaknine Marc-Alain, Biblio-thérapie, Lire c’est guérir, Seuil, 1994
Oulipo - Ouvroir de littérature potentielle
Rimbaud Arthur, Lettre du Voyant, 1871