Le malade, le médecin, le juriste et la mort

La loi accompagnement de fin de vie constitue la dernière étape (sans doute provisoire) d’un long processus de « normalisation » des rapports entre les malades et les soignants en même temps qu’elle marque une sorte de réappropriation par le premier de son corps et de sa mort.
La relation entre le patient et le médecin, et plus largement entre les usagers du système de santé et les professionnels de santé, a lentement évolué. Il suffit pour s’en convaincre de songer que la première reconnaissance par la Cour de cassation d’un droit des malades date de 1942 : dans un arrêt du 28 janvier 1942 (arrêt « Teyssier »), cette Cour affirme le principe du respect du consentement préalable du malade à des examens ou à la mise en place d’une thérapeutique !
De fait, la maladie, la souffrance, le silence souvent, placent le malade dans une situation fragile par rapport à celui qui le soigne. L’évolution des techniques, ce qu’elles permettent de réaliser ou d’espérer n’a rien changé à cet état de fait, voire l’a peut-être même aggravé. Comme le souligne le Comité consultatif national d’éthique , « le paradoxe de la médecine contemporaine est qu’en élargissant sans cesse l’éventail de ses possibilités thérapeutiques, elle rend le décryptage des choix proposés de plus en plus difficile. Cette nouvelle donne s’est traduite sur le plan juridique par une demande croissante de participation du patient à la décision comme si l’angoisse d’être soumis à une sorte de dictature de la médecine créait le besoin de rééquilibrer cette relation, par essence, toujours asymétrique. Cette nouvelle culture s’accompagne d’une judiciarisation croissante des pratiques (…) qui met en demeure la médecine de répondre à des impératifs contradictoires : soigner au mieux, mais dans des limites imposées, contraintes, voire hostile »).
« En terminer ou poursuivre », faut-il consacrer un droit des personnes à « réussir leur sortie » ? Telle est brutalement posée la problématique de la fin de vie. Le débat sur cette « querelle » des volontés est loin d’être clos, mais la loi du 22 avril 2005 a le mérite d’avoir recherché ce subtil équilibre entre deux volontés et au-delà entre deux sensibilités différentes : celle du médecin et celle du juriste.

Le vocabulaire médical emprunte volontiers au vocabulaire juridique, en particulier pénal (malade « condamné » ou en « sursis »), pour définir certaines situations. Cette proximité sémantique ne doit pas masquer la singularité de la question posée au juriste, pour lequel donner la mort reste une infraction pénale : peut-on ne pas condamner une personne qui tente d’humaniser la mort en effectuant un acte qui l’anticipe ?
Confrontée à la difficulté, la mission d’information sur l’accompagnement de la fin de vie, créée au sein de l’Assemblée Nationale, et présidée par M. Léonetti, a conclu à la nécessité d’une intervention législative. Deux impératifs, qu’il résume en ces termes, l’y ont conduite : « Si les malades refusent naturellement la douleur, la souffrance et la déchéance, ils récusent en même temps l’acharnement thérapeutique et redoutent le risque d’une décision médicale, qui pourrait parfois être clandestine et susceptible d’être prise à leur insu. S’ils sont opposés à toute euthanasie et à tout acharnement thérapeutique, les professionnels de santé, quant à eux, revendiquent une clarification de termes employés le plus souvent très confusément et aspirent à une plus grande sécurité juridique. »

La réponse proposée, abordée d’un point de vue strictement technique est assez classique : le législateur s’est inscrit dans une structure contractuelle opposant droit des malades et obligations du médecin.

La spécificité de la « demande de mort » réclamait tout de même une intervention particulière car plusieurs cas de figure peuvent être envisagés :
- le malade conscient en fin de vie ;
- Le malade conscient « mais non en fin de vie » ;
- Le malade inconscient dans l’une et l’autre de ces situations.

La sécurité juridique du médecin réclamait des réponses spécifiques permettant de caractériser cette volonté d’« en finir ». D’où un dispositif différenciant les situations de conscience/non conscience et vie/fin de vie que l’on peut ainsi résumer :
- Refus de l’« obstination déraisonnable », lorsqu’il n’existe aucun espoir réel d’obtenir une amélioration de l’état de la personne et que les actes médicaux entraînent une prolongation artificielle de la vie ;
- Renforcement des droits des malades par la définition de procédures de limitation ou d’arrêt de traitement et par l’obligation faite aux médecins de recourir, en pareille situation, aux soins palliatifs (ces procédures marquant indirectement la champ de la responsabilité du médecin).

Restait le problème de la conscience ; là aussi deux réponses furent apportées : la reconnaissance d’une valeur indicative aux directives anticipées laissées par le patient devenu inconscient, le renforcement du rôle de la personne de confiance introduite dans le colloque soigné/soignant par la loi sur le droit des malades du 4 mars 2002.

Deux articles retiendront notre attention :

- Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause et hors d’état d’exprimer sa volonté, a désigné une personne de confiance, l’avis de cette dernière, sauf urgence ou impossibilité, prévaut sur tout autre avis non médical, à l’exclusion des directives anticipées, dans les décisions d’investigation, d’intervention ou de traitement prises par le médecin (art. L 1111-12 du code de la santé publique).

- Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et consulté la personne de confiance, la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne. Sa décision, motivée, est inscrite dans le dossier médical (Art. L 1111-13, alinéa 1 du code de la santé publique.
Il ne paraît pas inconcevable d’imaginer qu’un traitement appliqué avec l’aval de la personne de confiance en application de l’article 1111-12 du code de la santé publique se révèle inefficace ou impuissant à améliorer l’état de santé du malade et que l’on se retrouve dans la situation de l’article 1111-13. La procédure « allégée » prévue par l’article 1111-12 du CSP place alors la personne de confiance en situation difficile vis à vis des proches. Il y a là une « niche à contentieux » probable.

Au regard de ce rôle renforcé, la désignation d’une personne de confiance dans le cas des majeurs protégés pose, par ailleurs, des problèmes spécifiques. L’article 1111-6 du code de la santé publique prévoit, en effet, qu’en cas de mise sous tutelle, le juge des tutelles peut, soit confirmer la mission de la personne de confiance antérieurement désignée, soit révoquer sa désignation. Le cas de l’absence de désignation préalable d’une personne de confiance n’est pas évoqué par l’article et la désignation du juge des tutelles comme personne de confiance « par défaut » n’est pas totalement satisfaisante si l’on songe à l’état des effectifs de la magistrature !

Reste enfin la question, toujours en filigrane et non réglée à ce jours de l’euthanasie dite « active ». Les demandes d’euthanasie sont, en réalité, bien souvent liées à la peur de la souffrance, mais aussi de la déchéance, critère, qui, dans une société qui dans une société qui valorise avant tout la vitesse, la jeunesse, l’efficacité et la rentabilité, prend toute sa valeur menaçante.

1 Avis n° 87 « refus de traitement et autonomie de la personne
2 Pour reprendre l’expression de M. Jean-Claude Magendie, président du tribunal de grande instance de Paris, dans « Médecin et Justice face à la demande de mort »

par Sylvie Lagabrielle, Pratiques N°31, octobre 2005

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