Pratiques : En tant que psychanalyste, vous avez beaucoup travaillé sur la notion de changement et de guérison. Pour vous, qu’est-ce qui fait que l’on peut sortir de la répétition des scénarios douloureux ? Quelle est la place du lien pour la guérison des maladies en général, quelle est la place du transfert pour la guérison des souffrances psychiques ? Pour vous qu’est-ce qui fait qu’un thérapeute, un analyste se mobilise ?
Radmila Zygouris : Avant de parler de guérison, j’introduis deux préambules. D’abord, en tant qu’analyste, je dois dire que les positions de soignant de l’analyste et du médecin, ne sont pas pareilles, même si par endroits elles peuvent se recouper. D’abord ceci :… rien ne me fait autant peur qu’un médecin qui ne fait pas son métier de médecin et qui joue au psy. Cela peut être catastrophique ! J’attends que le médecin fasse son métier de médecin d’abord, c’est-à-dire qu’il ausculte, qu’il essaie de trouver un diagnostic, et qu’il ne s’intéresse pas en premier à mon histoire familiale, à mes traumas d’enfance ni à ma névrose. .L’analyste est dans une autre position quand il reçoit quelqu’un, il est davantage à l’écoute du noyau de la souffrance même s’il tient compte du symptôme. On est d’emblée dans deux champs différents et la place du diagnostic n’est pas la même. Un autre écueil à éviter : confondre la position compassionnelle et la psychothérapie, accompagner le malade, être compréhensif, c’est un minimum, mais c’est absolument insuffisant ; des médecins humanistes ont toujours existé, on n’a pas besoin de Freud pour ça. Or si cela n’a pas suffi, c’est qu’il a bien fallu découvrir autre chose, c’est-à-dire des processus inconscients et le transfert. Dans nos sociétés de victimologie avancée, on a tendance à oublier cela. Etre gentil, accueillant, c’est un minimum, mais ensuite tout reste à faire.
Après ces deux précautions, venons-en à la question de la guérison. Qu’est-ce qui fait le désir de guérir de l‘analyste ? Est-ce que c’est d’abord désir de guérir ou un désir de savoir ? Je ne sais pas si l’on peut généraliser. Chaque analyste a ses propres raisons. Le plus souvent il y a quelque chose à comprendre en amont, dans sa propre histoire. On ne devient pas analyste pour des raisons futiles.
Autrefois, il était de bon ton de dire que l’analyste n’avait pas à guérir, n’avait pas à soigner, que la guérison venait de surcroît. C’est vrai, et à la fois ce n’est pas vrai. Je ne crois plus que ce soit juste de se désintéresser totalement du symptôme, encore faut-il préciser que le symptôme pour le médecin et le symptôme pour le psychanalyste, n’est pas le même. Il y a parfois des symptômes invalidants, qu’il faut absolument traiter, ne fût-ce que pour que l’analyse puisse continuer ou même avoir lieu. Mais vouloir les supprimer coûte que coûte, c’est méconnaître que très souvent un symptôme, d’un point de vue analytique, est quelque chose à quoi un sujet peut tenir, pour des raisons parfois vitales, car il raconte quelque chose de lui. Même si le plus souvent on est content quand le symptôme diminue ou disparaît en cours de route. Je ne conçois pas de psychanalyse qui ne soit thérapeutique.
Il m’est arrivé d’avoir été par exemple « trop bonne thérapeute », avec un patient, au sens où, au bout de quelques mois il a pu dire : « ce pourquoi je suis venu n’est plus là, je me sens bien, je m’en vais ». Alors je me sens un peu inquiète, je me dis, c’est allé trop vite, c’est forcément superficiel. Mais c’est quoi le « profond » ? Je me demande si on n’est pas tombés dans une chausse-trappe. Alors j’essaie de laisser la porte entrouverte. Certes on n’est pas allé assez loin, mais le désir d’être guéri peut être tellement fort qu’un réaménagement s’est opéré. Profond ou pas, qui peut le dire ? C’est vrai que parfois cela peut aller vite, pourvu que le patient ait été accueilli, pourvu qu’il y ait eu deux ou trois paroles qui ont créé un peu d’espace. La vie est riche, quelque fois ça peut suffire. De plus en plus souvent, je note que des cures se font en deux temps : Les gens viennent une première fois, ils font un petit tour, et s’en vont, dès que ça va un peu mieux ; et puis après ils reviennent avec moins de peur, surtout moins de peur du divan et de ce qu’il représente. Un autre travail commence alors. Je dirai qu’il y a véritablement de la psychanalyse quand le sujet s’intéresse à son propre fonctionnement, au delà de la plainte du symptôme. L’analyse ne guérit pas nécessairement d’un symptôme, elle guérit de la nécessité du symptôme.
Comment voyez-vous le désir de guérir ?
Qu’est-ce que c’est d’être bien portant ? Freud disait que c’est récupérer ou acquérir la capacité d’aimer et la capacité de travailler. L’analyse ne donne pas forcément le bonheur, mais offre l’aptitude de le rencontrer quand l’occasion se présente. Cela ne signifie pas pour autant trouver le mari idéal, ou l’épouse idéale, ni de trouver un travail intéressant, surtout actuellement. Dans la crise actuelle que traverse la société française à tous les niveaux, on est bien en peine de dire à quelqu’un qu’il est « guéri » si rien dans son environnement ne lui permet de mettre cette « guérison » à l’épreuve. J’ai vu des personnes parfaitement bien portantes sur le plan psychique qui ont été obligés de recourir aux antidépresseurs simplement pour faire face à la fatigue et aux découragements résultant des entretiens d’embauche humiliants et invariablement vains, mais on rentre là dans l’histoire de la folie sociale. J’aime bien soigner les gens. J’aime bien quand ils vont mieux à condition que ça ne se passe pas trop vite, et que ce ne soit pas uniquement dû au désir de soigner le thérapeute. Les patients répètent leur scénario traumatique ou leur névrose infantile avec l’analyste. Ceux qui ont eu un parent déprimé, et qui ont été des enfants « thérapeutes », notamment ceux qui accumulaient les « réussites » et marchaient « très bien », étaient premiers en classe et qui faisaient tout pour ne pas donner du souci à leurs parents névrosés, ils risquent de répéter cela dans le transfert avec leur analyste, ils vont soigner le narcissisme de leur analyste, et là il y a de quoi se méfier. Ca fait souvent des patients formidables, ils vont tout de suite très bien, ils vous disent à quel point vous êtes un thérapeute efficace ! Là il y a un énorme danger, ils ne traversent pas du tout leurs zones d’ombre, rien du négatif n’a été travaillé, ni la dépression primaire, ni l’agressivité, ni les angoisses de mort.
Vous parlez de la proximité de l’aire de la guérison et de la création artistique. Quelles sont les similitudes et les différences ? Qu’est-ce qui se mobilise dans la création au niveau du sujet ? Quel est l’apport de la psychanalyse par rapport à d’autres moyens de guérir ? Est-ce que le processus de guérison a à voir avec la création artistique ?
Je fais une différence entre les véritables artistes (ils sont rares) et les gens qui sont créatifs. On ne peut pas demander à un artiste d’aller bien tout le temps. Sa santé psychique peut passer par des moments de grandes turbulences. Parce que créer, c’est aller dans l’inconnu, cela a partie liée avec des choses qui sont très proches de la mort et de la vie nue, dans ce qu’ils ont de plus mystérieux. Ce n’est pas juste être gentiment créatif comme l’enfant qui joue ou les soi-disant « créatifs ». On rencontre souvent parmi les artistes des personnalités maniaco-dépressives, avec des moments d’euphorie créatrice pour échapper à ce gouffre qui les attire et dans lequel ils retombent périodiquement. Dans ces moments, l’analyste doit être solide et maintenir un lien assez fort tout en les laissant aller très loin dans leur zone de solitude et de dépression, là où ils puisent leur matériau sensible, avant de pouvoir émerger, y compris avec leurs propres forces. Bien sûr il y a des artistes qui sont équilibrés, qui sont heureux mais quand on regarde de plus près, il y en a beaucoup qui sont différents et qui vivent dans une grande solitude quelles que soient les apparences. C’est dans la zone psychique où on est tout seul, que se situent à la fois la zone de la création et la zone de l’auto guérison. Le psychanalyste Mickael Balint distinguait trois zones psychiques. Une première zone qui est la plus communément explorée par la psychanalyse qui est la zone du trois, pour aller vite, on peut l’appeler la zone du triangle œdipien, un sujet séparé de la mère, de l’environnement, et un tiers. Une deuxième zone, celle de la diade primitive, où on est dans la symbiose, qui est souvent une zone de régression accessible seulement aux analystes doués. Enfin une troisième zone, celle de la solitude absolue, où aucune autre présence ne peut pénétrer. Celle que chacun connaît, et n’a pas envie de connaître. Là il n’y a représentant d’aucun autre. Par ailleurs on naît seul ; on meurt seul. On peut tenir la main d’un mourant, mais on meurt seul. Même si on parle d’accompagnement aux mourants Et c’est en même temps dans cette solitude absolue que chacun porte en lui que l’on puise les forces de survie dans les situations extrêmes. Là naissent les idées créatrices, les vraies, les grandes. Voilà pourquoi les artistes sont si souvent malheureux jusqu’au au moment même de créer. Selon Balint, et j’y souscris, .c’est dans cette même zone, la zone de la création artistique, que prend source la capacité d’auto guérison.
Comment voyez-vous le paradoxe de l’articulation entre le recours aux propres ressources dans l’auto guérison et la nécessité du lien ?
Au moment où on touche le fond, il n’y a plus personne. La psychanalyse est une des rares thérapies qui permet de vivre cette expérience purement psychique. Ce sont des choses qui peuvent à peine se dire en mots, parce que c’est un lieu non verbal, c’est un pur sentir, un savoir très fugitif. Il y a une trace de cela, trace au bord de l’insu, c’est un lieu de l’humain qui est en même temps le lieu de sa plus grande misère et le lieu de sa plus grande force. Comment fait-on pour survivre au désastre ? Les gens qui ont perdu tout le monde ? Comment survivre ? Comment ne pas devenir fou ? Certains deviennent fous, mais pas tous. Il faut savoir que l’autre a les ressources de s’en sortir, sans injonctions, inutiles et brutales. Il faut savoir faire confiance, tout en restant présent et discret .On peut à l’occasion, le signifier, après coup. Quand cette guérison a eu lieu sans que la personne en ait pris la mesure, il faut peut-être le faire savoir Dans ces circonstances le recours inconsidéré aux médicaments peut s’avérer néfaste voir contre-productif. Parce que le sujet ne saura jamais qu’il a pu s’en sortir par ses propres forces, sans cette incorporation d’un autre, chimique ou pas. A part ça, je n’ai rien contre les médicaments en général. Souvent il est plus facile de soigner des gens qui ont eu des grosses catastrophes dans la réalité que ceux qui ont une vie apparemment sans histoire. Les premiers savent déjà qu’ils s’en sont sortis, même mal, ou en clopinant, mais sans se constituer « maladies ». C’est le cas de certains orphelins. Des gens qui sont malheureux et à la fois très costauds, alors que d’autres peuvent souffrir toute leur vie sans raison apparente.
Est-ce que la guérison a à voir avec ce que le psychanalyste D. Winnicot a décrit comme l’illusion bénéfique qui porte le nourrisson ?
Le pouvoir du thérapeute est toujours, quelles que soient ses compétences professionnelles, un pouvoir imaginaire que le patient lui prête.
Dans son livre « de la pédiatrie à la psychanalyse », Winnicot parle du pouvoir de guérison à plusieurs endroits. D’abord pour la psychose : il dit textuellement que « c’est de la psychose que le malade peut guérir spontanément » alors que la psychanalyse est nécessaire pour guérir de la psychonévrose. Par ailleurs il parle de la capacité qu’ont certains individus de guérir presque magiquement tout en étant eux-mêmes fort mal en point. Ils auraient une aptitude extrême à s’adapter activement à des besoins primitifs de l’autre. Aptitude qu’ils ont développée comme réaction à des soins maternels désordonnés. Cliniquement une telle personne peut devenir pour une période limitée une mère merveilleuse pour les autres. Il s’agit là d’individus qui ont tout le temps besoin de trouver quelqu’un d’autre qui rende réel ce concept de « bon environnement ». Cela peut être le patient qui devient « un bon patient », mais cela peut être le thérapeute. Il y a des espèces de compassion ou de soutiens excessifs qui ne rendent pas service aux patients. Continuer à le soutenir quelqu’un alors qu’il peut marcher seul, n’est ce pas le rendre inutilement dépendant ? Mais attention, il est des moments difficiles où il faut être dans le lien et accepter d’être dans une proximité très grande. Certains sont parfois dans de telles ruptures de continuité psychique qu’il faut savoir tenir très ferme et pouvoir dire : « je vous vois demain » !
Comment s’articule la notion de lien et de répétition ? On peut mettre très longtemps à voir où se situe la répétition. Souvent l’analyste est convoqué sur la scène de la répétition à son insu. La répétition est faite pour être interprétée, sans forcément la formuler explicitement au patient, sans dire : « vous faites cela parce que … » ; la répétition est un concept de la psychanalyse. Elle appartient au plan de l’intelligible. En revanche le lien, lui, ne s’interprète pas, c’est du vivant, il appartient au plan du sensible, il n’a pas de signification analytique spécifique, mais il est complètement partie prenante de l’invention de l’analyse. J’ai souvent parlé de ce « lien inédit », lien totalement nouveau dans la culture, inventé par Freud. Un lien inédit relie deux étrangers dans une relation extrêmement intime, dont une partie sera faite de répétition, de guérison, de recherche, dans une certaine relation de verticalité, et une autre sera faite de lien sensible entre deux humains. Cela existe ailleurs que dans la psychanalyse, dans le chamanisme par exemple, mais dans une actualisation uniquement verticale, alors que dans l’analyse, le lien se vit dans l’horizontalité.
Et la question de l’illusion ?
Je crois qu’il faut qu’il y ait un horizon, un avenir, ce que j’appellerais la rêverie maternelle. « Quand tu sera grand, tu auras des enfants, tu feras tel métier … » Le soignant ne doit pas trop désirer à la place du patient, mais il faut qu’il y ait du désir quand même. L’analyse est avant tout un processus, un cheminement. Le fait de cheminer est aussi important que le chemin parcouru. Sachant que pour cheminer, il faut aller vers.. Certains continuent longtemps leur analyse, pour des raisons de soins, de dépendance, mais aussi parce qu’au delà de l’amélioration des symptômes il trouvent l’extraordinaire plaisir de penser autrement, notamment les artistes, chez qui l’analyse est un lieu d’exploration. Contrairement à ce que beaucoup pensent, l’analyse ne nuit pas du tout à la création.
Actuellement, beaucoup de thérapies comportementales travaillent sur le changement. Quels sont les apports et les limites de ces outils ? Comment ancrer ces changements au cœur des personnes ?
Aujourd’hui, on critique beaucoup la psychanalyse. Je suis d’accord avec beaucoup de ces critiques, car de nombreux analystes ont été extrêmement arrogants et se sont fait des illusions sur leur pouvoir. Par ailleurs, je ferais une distinction entre le comportementalisme, et les neurosciences. Ces dernières ont permis des découvertes qui confirment des intuitions de la psychanalyse, notamment l’importance des émotions et des affects dans les processus de pensée. Autant je suis intéressée par les neurosciences, autant je me méfie d’un certain comportementalisme, celui qui est normatif. Travailler à réduire la souffrance psychique ne devrait pas être dépendant de l’exigence de « normalité » qui vient du social. Je n’ai pas d’à priori, si les gens veulent se faire soigner par les comportementalistes, pourquoi pas. Je reçois des personnes dont les symptômes se sont améliorés, qui peuvent prendre l’avion ou l’ascenseur, mais qui viennent voir un analyste quand même, parce qu’ils ont besoin de parler, ils cherchent du sens, et veulent avoir du temps pour déployer leur histoire, car ils restent dans un mal-être. Donc être débarrassé d’un symptôme, ça soulage, mais n’est pas suffisant pour beaucoup. Il y a des souffrances qui sont induites par les exigences du social, ce que la société proclame comme étant la norme une norme qui abrase le désir et les singularités. Le travail de l’analyste consiste de maintenir cet espace de subjectivation tout en étant thérapeutique. C’est l’honneur de la psychanalyse de ne pas jouer ce jeu-là. Même si certains analystes le jouent aussi et de façon du coup encore plus perverse.
Est-ce que ce qui se passe dans la guérison a à voir avec le sentiment amoureux ? Vous voulez savoir si l’amour guérit ?
Oui, au début… mais il faut tenir la distance, et là c’est autre chose.
Je crois que ce serait de la cuistrerie d’analyser le mystère de la rencontre amoureuse. Ce sont des moments de bonheur, d’exaltation où le monde s’ouvre. Ce sont des moments, qui sont des minis catastrophes. J’utilise exprès le terme catastrophe parce qu’on l’utilise généralement dans le sens péjoratif, mais une catastrophe c’est juste une faille, une brisure, une discontinuité radicale, parce qu’on a fait la trouvaille, parce qu’on a fait la rencontre. La catastrophe c’est l’endroit où la table s’arrête et qu’il y a le bord, alors on ne peut pas y déposer un objet, il tombe. On l’utilise pour les tempêtes, alors que cela peut signifier un moment de très grande liberté.
Mais par rapport à la guérison, alors est-ce que ça a à voir avec ???
Il y a mille façons de guérir. On peut aller mieux de temps en temps, parce que se défait peu à peu une sorte de carapace. On peut aussi d’un coup prendre une décision très forte et donner une bifurcation à sa vie. Un médecin qui voit beaucoup de gens ayant un cancer, m’a dit un jour, qu’il a vu des malades s’en sortir qui étaient très mal en point et même condamnés, parce que tout d’un coup ils avait décidé de changer de vie complètement, par exemple de partir à l’autre bout du monde, abandonner femme et enfants ou mari. Personne ne peut prescrire cela. C’est quelque chose de tellement particulier et ça peut aussi être suicidaire. Donc, on ne peut que le dire après coup : « Oui, j’ai vu ça, deux, trois, quatre fois dans ma vie de médecin ». Ca peut être aussi quelqu’un qui arrête spontanément son analyse. Et qui dit « basta » ! Ca peut être un égoïsme monstrueux, qui tout à coup émerge, qui n’est pas très beau pour les autres mais qui fait appel à une sorte de vitalité. Donc, c’est très complexe, les conditions d’une guérison ne sont pas toujours compatibles avec l’altruisme et ne sont pas toujours gentilles pour les autres. Il y a deux sens à soigner : il y a le soin maternel, to take care en Anglais et to heal : par exemple le médecin qui guérit le patient. C’est pourquoi c’est un mot très ambigu.
Je me demandais s’il n’y avait pas des choses du côté du miracle
Je crois que l’on sous-estime le pouvoir de l’esprit sur le corps, au sens large du terme. Il n’y a de miracles que ceux que l’on provoque soi-même, mais pour ce faire on a besoin de l’autre !! Bien que cet autre soit le plus souvent investi d’un pouvoir illusoire. Ca peut aller jusqu’à la création de l’idée de Dieu… Alors bien sûr, il y a des miracles.!! Je pense que parmi les facteurs d’une guérison, il ne faut pas oublier le principe de plaisir. Plus généralement tout le système des plaisirs. Qui doit être stimulé, mis en route, en mouvement périodiquement. C’est faire appel à la pulsion de vie. C’est ce qui permet le mieux de lutter contre les ravages de la pulsion de mort. Et pourquoi est-ce que les gens se droguent par exemple ? Mais parce que ça stimule le système des plaisirs ! Parce que d’abord c’est « bon ». Après ils le payent très cher, après il y a l’addiction, il y a les maladies, il y a tout ce qu’on veut. Il faudrait voir de plus près les rapports entre pulsions de vie et système de plaisirs. On n’a pas le temps de le développer ici. Mais n’oublions pas qu’au départ la prise de drogue c’est d’abord une recherche de plaisir. Tous ceux qui se droguent ne sont pas fous, ils veulent stimuler leur système de plaisirs, même si après c’est la cata ! Alors il vaut mieux se shooter à l’analyse qu’à l’héroïne.
Si la psychanalyse ne peut se complaire d’être dans la pure séduction, elle se doit aussi de ne pas devenir un dispositif purement rébarbatif au service d’une société hygiéniste…ou, ce qui serait un équivalent plus élégant, au service d’une religion de la castration.
Beaucoup de psychanalystes évoquent les « résistances » de leurs analysants qui refuseraient de changer, d’autres, eux, disent : « il n’y a de résistance que de l’analyste », comment voyez-vous cette question des « résistances au changement » ?
Les deux résistances existent. Les patients ont beau se plaindre, ils préfèrent souvent rester dans le connu, plutôt que d’affronter le risqué de l’inconnu. Ce qu’on appelle la guérison, surtout en analyse, c’est toujours un changement en profondeur. Il est normal que ça n’aille pas de soi, qu’on y résiste, qu’on s’agrippe au familier même si ce familier fait souffrir.
Tout le monde est comme ça. Certains plus que d’autres. Maintenant quand une analyse stagne, cela veut dire qu’il faut changer quelque chose à l’intérieur même de l’analyse, et c’est là où intervient la résistance de l’analyste. Personnellement je le vois tous les jours : l’analyste est souvent amené inconsciemment par le patient à répéter des attitudes, souvent imperceptibles, des dispositions internes d’un des personnages du passé de l’analysant, ou des attitudes inconscientes de l’analysant lui-même. Il est faux de croire que seul le patient répète et freine ainsi la dynamique d’une cure. L’analyste est amené à être la pièce maîtresse d’une scène qui se répète à l’insu des protagonistes. N’oublions pas que c’est le travail pour lequel il est payé : d’analyser sa propre inertie psychique face au patient... L’analyste a tout autant peur du changement que le patient. Il a même parfois peur de ses propres capacités de guérison. N’oublions pas les ravages des injonctions de théories mal digérées. « Tu ne soigneras pas si tu veux rester un pur psychanalyste ».
J’exclus de cette remarque des patients qui, au contraire, ne peuvent avoir une vie vivable qu’à la condition d’avoir ce lieu et ce lien absolument indéfectibles. Lieu et lien qui sont des garants de leurs conditions de vie psychique. En revanche, pour tous les autres, si les analystes devenaient meilleurs thérapeutes et si la quête d’une pureté dogmatique tenaillait moins leur tripes, ils verraient déguerpir plus vite un grand nombre de patients, et alors fini les cures sinécures… Bon prenez le comme une boutade, mais pas complètement.