Marie Kayser,
Médecin généraliste
Un des « 60 engagements pour la France » du candidat François Hollande était que « toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». Devenu président, il a missionné la commission Sicard pour évaluer l’application de la loi Leonetti « dans le cadre d’une réflexion sur la fin de vie ».
La loi relative au droit des malades et à la fin de vie du 22 avril 2005, dite « loi Leonetti », fixe le cadre de la fin de vie en France [1], [2]
Inscription du refus de l’obstination déraisonnable (antérieurement appelée acharnement thérapeutique) et de la possibilité d’arrêter ou de ne pas entreprendre des soins « lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ».
Affirmation du principe du droit pour tout malade (pas forcément en fin de vie) à l’abstention ou l’arrêt de tout traitement (y compris si cela risque entraîner sa mort), tout en lui garantissant l’accès à des soins palliatifs jusqu’à sa mort.
La nutrition et l’hydratation artificielles sont explicitement considérées non pas comme un soin de confort, mais comme un traitement et peuvent donc être arrêtées à la demande du patient.
Affirmation du droit au soulagement de la souffrance au risque d’abréger la vie, mais maintien de l’interdit d’accélérer intentionnellement la mort : « Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade... (sauf si celui-ci a exprimé la volonté d’être tenu dans l’ignorance), la personne de confiance, la famille ou, à défaut, un des proches. »
Il s’agit bien du soulagement de la souffrance et non pas uniquement de la douleur.
La loi précise que « Le médecin, même si la souffrance du patient ne peut être évaluée du fait de son état cérébral, met en œuvre les traitements, notamment antalgiques et sédatifs... Il veille également à ce que l’entourage du patient soit informé de la situation et reçoive le soutien nécessaire ».
La loi fixe les modalités de prises de décisions de limitation ou d’arrêt de traitement :
— Si le patient est conscient, et qu’il décide l’arrêt d’un ou plusieurs traitements, le médecin doit l’informer des conséquences prévisibles de sa décision puis respecter cette volonté, même si l’arrêt de ce traitement risque d’entraîner la mort. Le médecin doit, de toute façon, lui assurer des soins palliatifs jusqu’à sa mort.
— Si le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, c’est le médecin qui est responsable de la décision de limitation ou de l’arrêt d’un traitement considéré comme une obstination déraisonnable, il doit respecter la procédure suivante :
• Rechercher et prendre en compte les directives anticipées si elles existent.
• Recueillir l’avis de la personne de confiance ou à défaut celui de la famille ou des proches. Les directives anticipées (qui doivent dater de moins de trois ans) ne s’imposent pas au médecin, mais elles priment sur l’avis de la personne de confiance qui prime sur celui de la famille et des proches.
• Respecter la procédure collégiale : le médecin doit se concerter avec l’équipe de soins si elle existe et obtenir l’avis motivé d’au moins un autre médecin. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre les deux médecins. L’avis motivé d’un deuxième consultant est demandé par ces médecins si l’un d’eux l’estime utile. Le recours à la procédure collégiale peut aussi être déclenché par la famille et les proches, notamment lorsqu’ils sont dépositaires des directives anticipées de la personne.
• La décision motivée est inscrite dans le dossier du patient.
La loi Leonetti affirme aussi la nécessité d’ancrer les soins palliatifs dans les politiques de santé publique, aussi bien dans les établissements hospitaliers que dans les établissements accueillant des personnes âgées.
Les propositions de la Commission de réflexion sur la fin de vie en France, dite Commission Sicard
Le rapport Penser solidairement la fin de vie a été remis fin 2012 [3]. Il est issu d’auditions de personnalités et de plusieurs débats publiques. La commission s’est également déplacée dans des pays qui ont légalisé l’assistance au suicide ou l’euthanasie.
Ce rapport est intéressant à lire même si on ne partage pas la totalité de ses propositions. Seront reprises ici les données qui m’ont paru les plus importantes à connaître.
Les analyses et réflexions générales
— « L’esquive » actuelle de la mort, la notion de « mort sociale » dans une société où règne le culte de la performance.
— La place de la personne réduite « au consentement libre et éclairé », alors que pour respecter son autonomie, ce concept devrait être remplacé par celui de liberté de choix.
— L’inadaptation des réponses institutionnelles aux attentes et craintes des citoyens face à la fin de vie.
— L’existence d’une culture médicale curative dominante qui ne prête plus attention à la parole et où la prise en charge de la douleur est encore aléatoire.
— L’inadaptation des établissements de fin de vie, que ce soit l’hôpital où meurent 58 % des personnes ou les maisons de retraite où décèdent 12 % des personnes.
— Les nombreux obstacles au « mourir chez soi », vœu pourtant majoritaire chez les citoyens.
— Le nombre insuffisant des services de soins palliatifs et surtout l’insuffisance de « culture du palliatif », avec un clivage entre curatif et palliatif.
— La formation totalement insuffisante de l’ensemble des soignants.
— L’existence d’inégalités sociales majeures face à la mort.
— La méconnaissance de la législation actuelle.
Le bilan de la Loi Leonetti
L’enquête (Institut National d’Études Démographiques-INED) sur les décisions médicales en fin de vie en France publiée en 2012 [4] montre :
— Le pourcentage important des décisions médicales prises en sachant qu’elles pourraient hâter la mort du patient : 47,7 des décès ; parmi ces décès, l’INED distingue ceux pour lesquels il y a eu l’intention de hâter la mort : 3,1 % (dont 0,8 % par administration de médicaments).
— Le non-respect de la procédure collégiale légale prévue par la loi puisque la décision d’arrêt de traitement pour une personne inconsciente n’a été discutée que dans 55 % des cas avec un autre médecin, 37 % des cas avec l’équipe soignante, 57 % des cas avec la famille et 13 % avec la personne de confiance.
— Le nombre très faible de personnes ayant rédigé des directives anticipées : 2,5 % des personnes décédées.
La commission Sicard considère que la loi Leonetti est mal connue et mal pratiquée. Elle estime « qu’elle répond à la majorité des situations », mais reprend des exemples de situations auxquelles la loi n’apporte pas de réponse :
• La personne âgée dont l’état de santé n’implique aucune menace vitale à court terme et qui souhaite accélérer sa mort.
• Une personne qui a conscience de perdre la tête et qui craint l’évolution tragique d’une tumeur cérébrale, alors même qu’elle est encore lucide, et qui souhaite accélérer la fin de sa vie.
• Un malade en fin de vie, qui ne souffre pas, refuse tout traitement et demande à mourir.
Les réponses des expériences étrangères
Dans les pays où l’euthanasie et le suicide assisté sont autorisés, ils doivent répondre à des procédures définies par la loi et ne concernent qu’un très petit nombre de décès.
— En Suisse, l’euthanasie est illégale. Seuls deux cantons ont mis en place une procédure d’assistance au suicide. Les personnes peuvent être accompagnées dans cette « auto-délivrance », même si elles n’ont pas de maladie incurable (20 % sont des poly pathologies invalidantes chez des personnes âgées).
— En Belgique : l’euthanasie est dépénalisée depuis 2002.
D’après la commission nationale d’évaluation destinée à apprécier les procédures et leur régularité, elle concerne 2 % des décès dont 1 % après soins palliatifs.
D’après une autre étude, en 1997, donc avant la loi, 4,4 % des décès étaient consécutifs à l’injection de médicaments à dose létale avec intention du médecin d’abréger la survie. Après les trois lois de 2002, qui ont associé soins palliatifs, euthanasie et droits du patient, le nombre total d’actes d’abrégement de la vie a plutôt diminué : 3,8 %,
— Au Pays-Bas : le nombre d’euthanasies n’a pas significativement varié depuis la promulgation de la loi (moins de 3 % des décès).
— En Oregon, le suicide assisté concerne 0,2 % des décès. La moitié des personnes en fin de vie qui obtiennent les médicaments leur permettant de se suicider ne les utilisent pas.
À noter qu’en France où l’euthanasie est interdite par la loi, « 3,1 % des décès font suite à un acte visant à mettre fin à la vie de la personne » d’après l’étude INED publiée en 2012.
Les propositions de la commission : « Une solution à la française »
La commission reprend les principes fondamentaux « ... Donner la plus grande importance aux paroles et aux souhaits des personnes malades en fin de vie » et « faire en sorte qu’elles soient entendues dans leur situation d’extrême vulnérabilité ».
Elle développe deux grands chapitres : les propositions qu’elle estime déjà prévues dans la loi et prioritaires à mettre en œuvre et les conduites non prévues par la loi Leonetti : assistance au suicide et euthanasie
Propositions concernant des conduites prévues par les lois relatives aux droits des malades en fin de vie
— La prise en compte de la volonté de la personne àtravers les directives anticipées
La commission propose de les développer, de les rendre accessibles et incontournables (fichier national informatisé), sans toutefois les rendre obligatoires pour le patient ni opposables au médecin : « Tout médecin qui s’opposerait à ces directives anticipées devrait pouvoir en référer sous peine d’illégalité, voire de pénalisation, à une collégialité à déterminer et que tout non-respect de directives anticipées devrait donner lieu à une justification écrite. ».
Elle propose deux types de directives anticipées :
• Des directives qui seraient proposées par le médecin traitant à tout adulte qui le souhaite, sans aucune obligation, et régulièrement actualisées.
• Un autre document de volontés concernant spécifiquement les traitements de fin de vie qui serait proposé au patient, en cas de maladie grave diagnostiquée, ou en cas d’intervention chirurgicale pouvant comporter un risque majeur.
— Les transformations indispensables pour un réel accompagnement des personnes en fin de vie :
• Au niveau de la formation médicale : la commission estime que l’enseignement des études doit être repensé afin que les attitudes curatives ne confisquent pas la totalité de l’enseignement et elle avance pour cela des propositions à mettre en œuvre dès 2013 (nous sommes en 2014 et, à ma connaissance, rien n’a changé...).
• Au niveau de l’exercice professionnel : les objectifs sont que « les soins palliatifs s’érigent au moins autant en soins de support qu’en soins de fin de vie », qu’ils soient introduits « dès le premier jour de l’annonce ou de la découverte d’une maladie grave », qu’ils soient accessibles quelque soit le lieu de vie et tout le temps, que soient développées les coordinations entre les différents intervenants et que soit facilité l’accompagnement par les proches.
La commission interpelle les pouvoirs publics, pour un réel développement sur tout le territoire des soins palliatifs et les « autorités compétentes » pour « revoir... le principe inadapté de la tarification à l’activité dont les conséquences sont en particulier désastreuses pour la culture palliative ».
À noter aussi qu’elle recommande de permettre aux généralistes « un accès libre à tous les médicaments sédatifs, sans lesquels il est illusoire d’envisager une prise en charge de la fin de vie à domicile ».
— La décision d’un geste létal dans les phases ultimes de l’accompagnement en fin de vie
La commission considère qu’il est possible, dans le cadre de la loi Leonetti, que le médecin prenne la décision d’un geste létal. Elle le formule ainsi : « Lorsque la personne en situation de fin de vie, ou en fonction de ses directives anticipées figurant dans le dossier médical, demande expressément à interrompre tout traitement susceptible de prolonger sa vie, voire toute alimentation et hydratation, il serait cruel de la “laisser mourir” ou de la “laisser vivre”, sans lui apporter la possibilité d’un geste accompli par un médecin, accélérant la survenue de la mort. Il en va de même lorsqu’une telle demande est exprimée par les proches quand la personne est inconsciente en l’absence de directives anticipées figurant dans le dossier médical, cette demande devant être soumise à une discussion collégiale afin de s’assurer qu’elle est en accord avec les souhaits réels de la personne.
Lorsque le traitement en lui-même est jugé, après discussion collégiale avec le malade ou ses proches, comme une obstination déraisonnable, et que des soins de support n’auraient désormais pour objet qu’une survie artificielle. »
La commission recommande aux pouvoirs publics de se mobiliser prioritairement sur les propositions précédentes et « Pour cette raison elle ne recommande pas de prendre de nouvelles dispositions législatives en urgence sur les situations de fin de vie. »
Réflexions concernant des conduites non prévues par les lois relatives aux droits des malades en fin de vie
La commission considère que, au vu des observations hors de France, la mort directement liée à une pratique létale ne représenterait qu’une proportion très marginale des décès si cette pratique était légalisée. Après avoir listé les avantages et les inconvénients d’une ouverture sur l’euthanasie et le suicide assisté, elle fait les recommandations suivantes :
— L’assistance au suicide
La commission estime que, contrairement à la provocation au suicide, l’assistance au suicide n’est pas incriminable en droit français, mais que : « le silence du droit ne peut être interprété comme une tolérance dans la mesure où l’assistance au suicide interpelle les grands principes du droit ».
Elle envisage la possibilité d’une assistance au suicide sous forme de médicaments prescrits par le médecin dans des cas qu’elle estime très rares : « Pour certaines personnes atteintes d’une maladie évolutive et incurable au stade terminal, la perspective d’être obligé de vivre, jusqu’au terme ultime, leur fin de vie dans un environnement médicalisé, où la perte d’autonomie, la douleur et la souffrance ne peuvent être soulagées que par des soins palliatifs, peut apparaître insupportable. »
Dans le cas où le législateur prendrait la responsabilité de légiférer sur l’assistance au suicide, elle émet un certain nombre de recommandations (s’inspirant de la législation de l’Oregon) pour encadrer cette assistance. Elle considère que cette assistance ne peut concerner ni l’administration par un tiers de la substance létale (quelles que soient les directives anticipées et même si une personne de confiance a été désignée), ni la personne consciente, mais incapable d’accomplir elle-même de quelque manière que ce soit le geste de suicide assisté.
— L’euthanasie
À propos de l’euthanasie, elle souligne que « les juges, obligés de statuer, prononcent des peines, mais leur volonté de clémence apparaît nettement », mais que « cet état de la jurisprudence ne peut pas faire oublier la gravité et les contraintes de toute procédure judiciaire ».
La commission n’envisage pas la possibilité de l’euthanasie et met en garde le législateur, s’il prenait la responsabilité d’une dépénalisation de celle-ci, « sur l’importance symbolique du changement de cet interdit ».
Et maintenant, où en est-on ?
Les propositions prioritaires de la commission Sicard sur la prise en compte de la volonté de la personne et les transformations indispensables pour un réel accompagnement des personnes en fin de vie peuvent être qualifiées de « propositions consensuelles ». Mais le problème est que pour l’instant, elles ne sont pas mises en œuvre, sans doute parce qu’elles nécessitent des changements de paradigme dans la relation au patient, dans la formation, dans l’ensemble du fonctionnement et du financement du système de soin.
La proposition concernant la possibilité, dans certaines conditions, d’un geste létal en fin de vie a suscité l’opposition du député Leonetti qui pense que la loi actuelle n’autorise pas ce geste. Il a présenté en 2013 une proposition de loi [5] qui rend les directives anticipées opposables au médecin et qui tout en insistant sur le droit à la sédation en phase terminale s’oppose clairement à une sédation à visée terminale. Cette proposition a été rejetée par la Commission des lois de l’Assemblée nationale qui a estimé qu’elle venait court-circuiter le débat législatif plus large annoncé par le gouvernement.
La Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs ne retient pas la possibilité d’un geste létal en fin de vie et est opposée à la légalisation de l’assistance au suicide et à la fin de vie [6]. Le Conseil national de l’Ordre des médecins [7] rappelle le principe éthique de ne pas donner délibérément la mort, mais il estime qu’« une sédation, adaptée, profonde et terminale délivrée dans le respect de la dignité pourrait être envisagée, par devoir d’humanité, par un collège dont il conviendrait de fixer la composition et les modalités de saisine ».
Le Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE), dans son avis de juin 2013 [8], n’a pas abouti à l’expression d’une réflexion et de propositions unanimement partagées « en ce qui concerne le droit d’une personne en fin de vie à avoir accès, à sa demande, à un acte médical visant à accélérer son décès, et/ou le droit à une assistance au suicide ». « La majorité des membres du Comité exprimant des réserves majeures et recommandant de ne pas modifier la loi actuelle... ».
Le panel de citoyens, désigné par l’IFOP à la demande du CCNE, s’est réuni en conférence de citoyens [9]. Dans son avis de décembre 2013, il reprend les recommandations sur un réel accompagnement de la fin de vie et prend position sur la légalisation du suicide assisté et pour une exception d’euthanasie envisageable dans des cas particuliers, ne pouvant entrer dans le cadre du suicide assisté lorsqu’il n’existe aucune autre solution (pas de consentement direct du patient) »
Selon le sondage TNS Sofres-ministère de la Santé de 2012, 58 % des personnes envisagent de demander à leur médecin qu’il leur donne un produit leur permettant de mettre fin eux-mêmes à leur vie (suicide assisté), 67 % de demander une euthanasie. Toutes ces prises de position posent la question de la légitimité des instances consultées.
Tous les citoyens sont concernés non seulement par la question de l’assistance à mourir, mais aussi par le fonctionnement de notre système de soin et de santé et plus largement de notre système social dans lequel les inégalités sociales face à la vie se poursuivent face à la mort.