La consultation de 19 heures

Ce soir, il y a théâtre, alors il vaudrait mieux ne pas finir trop tard. Chouette ! Il reste une personne dans la salle d’attente. Avec un peu de chance, j’aurai le temps de grignoter un petit quelque chose avant le spectacle.

« Bonjour madame X, que puis-je pour vous ? » « Et bien docteur voilà, je ne comprends pas, j’ai mal nulle part, mais je suis très fatiguée ».

Je pressens que je ne vais pas manger. Deux possibilités s’offrent à moi : je fais un rapide examen clinique, je prescris un bilan biologique, on ne sait jamais ! Et un placebo pour l’asthénie et je fonce au théâtre. Ou je prends mon temps pour l’examen clinique, et je décode cette fatigue tant sur le plan somatique que psychologique, sociale, et professionnel... et je ne vais pas au théâtre.

Le problème, c’est que l’on ne sait jamais si c’est maintenant que les choses vont se dire, si derrière cette fatigue ne se loge pas le véritable problème. Depuis des années que je vois cette dame, je sens qu’il y a un problème qui n’arrive pas à se dire.

J’ai construit ma relation autour de la possibilité pour elle de me dire un jour ce qui ne va pas. Si ce jour est ce soir, je n’ai pas le droit de la sacrifier.., et une fois de plus, tant pis pour le théâtre. J’ai donc appris ce soir-là que cette dame est fortement endettée pour avoir soutenu financièrement sa fille confrontée à une séparation difficile. Les dettes de loyers existent et elle vit sous la menace de l’expulsion de son appartement. Son mari fait ce qu’il peut, mais elle pense qu’il lui en veut. On a donc décodé le sens cette fatigue et construit une réponse à cette problématique sociale, qui certes n’est pas de la compétence du docteur, mais il est quand même concerné, car c’est une authentique souffrance qui a conduit cette dame un soir au cabinet médical. Et comme j’ai la chance de travailler avec un réseau précarité, je ne suis pas démuni dans la réponse à apporter, et cela évite la médicalisation de son problème social.

Après tout, c’est cela aussi le théâtre de la vie. —

Didier Ménard
Médecin généraliste

par Didier Ménard, Pratiques N°40, janvier 2011

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