L’angoisse de Sidonie

Sylvie Cognard
Médecin généraliste

Sidonie est une patiente fragile. Elle a une histoire familiale complexe et travaille dans la restauration comme son compagnon. Ils ont une petite fille de 5 ans. J’assure le suivi de la grossesse et tente d’apaiser ses multiples angoisses. La grossesse se passe bien. Cependant, son travail dans la restauration est très dur, elle est toujours debout et ne compte pas ses heures. Plusieurs fois, je lui propose de la mettre en arrêt de travail, mais elle refuse car son employeuse voit d’un très mauvais œil cette grossesse. Sidonie a peur que son CDD ne soit pas renouvelé. Elle s’inquiète des répercussions de sa fatigue et de ses angoisses. Si elle ne retrouve pas
son travail après la naissance, le couple aura des difficultés financières.
Lorsqu’elle passe sa troisième échographie, le praticien indique que le fémur du fœtus est trop petit sans autre détail et lui demande de faire faire un autre examen chez un échographiste référent en diagnostic prénatal.
L’annonce du fémur petit faite par l’échographiste vient réveiller les angoisses et les sentiments de culpabilité de Sidonie alors que la grossesse arrive presque à son terme.

« Le monde avait disparu. Tout était noir autour de moi, les bruits de la rue trop bruyants pour pouvoir penser. Boule dans la gorge et peur au ventre se sont installées. Des images dans ma tête se sont ancrées et un bébé est apparu complètement déformé. Le bébé devenait irréel, ça y est pour moi il était nain. Je ne pouvais expliquer ce qui m’arrivait puisque le docteur ne m’avait rien dit ! J’avais tellement été suffoquée en entendant ces mots que nulle parole, nulle question n’avait pu sortir. »
Le fait d’imaginer un handicap possible (ici un nanisme) lui fait dire tout d’abord qu’elle ne peut pas aimer cet enfant à venir.
Le passage de l’échographie de contrôle la rassure pleinement :
« Mon bébé était bien proportionné, mais légèrement en dessous de la moyenne ! C’est comme si on m’avait enfermée dans une cage dans le noir, pour me forcer à m’habituer à mes angoisses et qu’enfin on ouvrait la porte pour affronter à nouveau le soleil éblouissant. Le docteur a dit « Ce sera un beau bébé, mais petit en taille ». Vue notre grandeur, cela peut-être tout à fait normal. Je réalisais qu’on n’avait plus de questions à se poser. Sur le chemin du retour, je me sentais solide et à la fois d’une incroyable légèreté. »
Son dossier présenté à la commission de diagnostic prénatal (DPN) fera évoquer une trisomie 21. Ils lui proposeront une amniocentèse. Sidonie et son compagnon refuseront cet examen, ne se sentant pas capables de faire réaliser une interruption médicale de grossesse pour un fœtus viable. Tout au long des 45 jours séparant l’annonce du « petit fémur » et la naissance, le couple fera un énorme travail de réflexion et de reprise de confiance en eux en tant que parents. Ils concluront qu’ils accueilleront et aimeront leur bébé, non pas comme l’enfant parfait rêvé, mais comme l’enfant en lui-même handicapé ou non. Sidonie fera le lien entre ses sentiments de culpabilité d’avoir mené sa grossesse avec un avenir économique incertain, un travail très dur et leur désir à tous les deux.
C’est moi qui l’avais encouragée à écrire ce témoignage pour qu’elle puisse trouver les mots à dire à son enfant et en quelque sorte exorciser ses peurs. Lui expliquer son ressenti de désamour à l’annonce d’un handicap possible et la reconquête de ses capacités à être mère et à aimer.
Les médecins prescrivent des échographies pour s’assurer que les grossesses se passent bien et que les fœtus sont en bonne santé. Les professionnels du DPN traquent anomalies et malformations pour faire des diagnostics et proposer des solutions dont l’une est l’interruption médicale de grossesse (IMG). Les échographistes s’appliquent à faire ce que leur demandent les prescripteurs. Les femmes font des échographies pour savoir si elles attendent un garçon ou une fille, elles attendent aussi d’être rassurées sur la normalité de leur bébé. C’est quand l’annonce d’une mauvaise nouvelle arrive que tout se complique...



par Sylvie Cognard, Pratiques N°51, octobre 2010

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