Fonction publique : le pourrissement

Jacky Brelinge
Médecin généraliste

        1. Déni des accidents du travail et des maladies professionnelles, arrêts maladie en cascades : la vie au travail dans la fonction publique en France se disloque.

Avertissement : le témoignage qui suit a été validé par le témoin dont le prénom a été changé.

Partie I : Le déni de la violence au travail

  1. État des lieux

Éducation nationale, fonction publique territoriale, communauté de communes, transports publics, la liste est longue des institutions qui appliquent une politique destructrice sur les organisations du travail et les agents. Depuis plusieurs années, ceux-ci témoignent dans nos cabinets médicaux de la dégradation de leurs conditions de travail, de la pression violente qu’ils ou elles subissent, jusqu’à ôter tout sens à leur travail, à criminaliser l’action syndicale ou la simple citoyenneté. En témoignent par exemple, les sanctions disciplinaires sans argumentation valable, menaçant la démocratie, de syndicalistes de l’éducation nationale [1]. Les « chefs » détournent leur pouvoir ou en abusent, au détriment des besoins des agents du service public et de la population. Ils se rallient et obéissent comme des chiens savants à la politique néolibérale. Les dégâts sur la santé des agents sont considérables, c’est un gâchis monumental. D’injonctions odieuses en propos agressifs ou justifications mensongères, les esprits morbides vampirisent les institutions publiques françaises où le pouvoir des supérieurs hiérarchiques s’exerce à la verticale absolue, réalité que n’auraient pas reniée les plus doux staliniens. À l’heure où les inégalités sociales gangrènent la société, on assiste à un recul sans précédent de la démocratie au sein des services publics et de l’appareil d’État. S’occuper de tous et de la grande misère devient dorénavant un chemin de croix [2].

  1. Une joie de courte durée

Quand j’appris, par une syndicaliste, que la commission de réforme paritaire avait reconnu le 14 septembre 2017 l’accident de travail de Bachir comme « imputable au service », par cinq voix pour, une contre et zéro abstention, je me suis senti fier d’avoir pu peut-être contribuer à cette reconnaissance [3]. L’avis mentionne « l’existence d’un lien direct et certain avec le service » et porte les signatures des deux représentants du personnel, de ceux de l’administration et de la DRFiP [4], du président et des deux médecins de la commission de réforme. Bachir et moi allâmes trinquer. Quelques jours plus tard, le recteur seul (« j’ai décidé »), invalidait cet avis qui n’est que consultatif et niait tout lien entre la santé de Bachir et ce qui s’était passé ce 13 décembre 2016, où il avait reçu la visite d’une inspectrice pédagogique régionale de mathématiques. Reprenons le fil de cette histoire.

  1. L’exil et les premiers affronts

Bachir a 56 ans, est capésien et enseigne les mathématiques dans un lycée public depuis vingt-huit ans. Il est marié et a deux enfants. En 1981, à l’arrivée des socialistes au pouvoir, Bachir arrive du Maroc en France pour poursuivre ses études. Il milite au sein de l’Union nationale des étudiants marocains, opposée au régime dictatorial d’Hassan II et dans un parti politique français. C’est à cette période que je le rencontre, distribuant ses tracts devant le restaurant universitaire près de la faculté de médecine où j’étudie. Nous sympathisons. Il obtient la nationalité française en 1993. Quand je le rencontre de nouveau, bien des années plus tard, en 2013, et que je deviens son médecin, Bachir n’a pas d’antécédent médical et aucun problème au travail… jusqu’en 2014.
Commençons par les premières humiliations à caractère discriminatoire de l’État français, subies par Bachir et sa famille, telles qu’exprimées lors d’une consultation début 2014. En 1999, suite à la naissance de leur fille, la belle-mère de Bachir se voit refuser, de la part de la préfecture, la prolongation d’un visa de court séjour. En novembre 2013, après le décès de son père au pays, sa mère âgée de 76 ans, se voit refuser par le ministère des affaires étrangères un visa de court séjour, refus confirmé par un courrier du ministre de l’intérieur du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls. La commission de recours est saisie par Bachir : nouveau refus. Pour lui, le député socialiste de la circonscription « se couche » devant cette décision, inique. Je me souviens du jour où il m’annonce tout cela : nous ne pouvons retenir nos larmes.

  1. L’humiliation de trop

Début janvier 2017, Bachir vient consulter pour des douleurs aux bras, surtout nocturnes, des troubles du sommeil avec cauchemars, des selles liquides avec poussées hémorroïdaires, signes qu’il rapporte au stress, il pleure à l’évocation de ses soucis au travail. L’examen clinique se révèle normal en dehors de douleurs de tension cervico-occipitale. Depuis trois ans et la visite régulière d’une inspectrice académique, il dit perdre confiance en lui car elle lui reprocherait de ne pas faire son travail. Il sent un manque de reconnaissance et de soutien de la part de sa hiérarchie et pense poser un congé de formation professionnelle. Il me rapporte qu’il n’est pas le seul à subir les critiques acerbes de l’inspectrice : trois professeurs titulaires et expérimentés démissionnent des suites de ces inspections, d’autres se mettent en arrêt de travail.
En fin d’entretien, Bachir avoue avoir subi le 13 décembre 2016, une agression verbale de la part de cette inspectrice qui lui aurait dit froidement : « Vous truandez les notes » (des devoirs des élèves), « si vos élèves obtiennent de meilleurs résultats, ce n’est pas grâce à vous, mais parce qu’ils compensent par ailleurs… », (dans le privé ? Le marché est juteux). C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Je lui explique que cette insulte est un accident du travail et je l’incite à consulter en médecine préventive. Il ne souhaite pas s’arrêter. Quelques jours plus tard, il me dit avoir craqué au lycée après une réunion entre professeurs. Le 12 janvier 2017, ceux-ci écrivent un courrier à l’inspectrice académique en lui disant que son inspection n’était pas constructive et que des professeurs avaient perdu confiance. Bachir consulte l’infirmière scolaire le 13 janvier et peut exprimer ses souffrances. Avec son accord, j’établis un certificat médical initial d’accident du travail avec arrêt à partir du 16 janvier 2017, et mention de la date de l’accident au 13 décembre 2016. Je rédige un courrier pour la médecine préventive et l’invite à contacter un syndicat d’enseignants.

  1. Le réseau de résistance

À la fin du mois, Bachir reçoit un courrier du rectorat me demandant de transformer l’accident du travail en maladie professionnelle : je refuse (après avis téléphonique auprès d’un médecin du travail et d’une médecin inspectrice régionale du travail). Bachir me rapporte le cas de deux enseignants d’un autre département qui auraient été sanctionnés par la même inspectrice. Il compte aller les voir. Je lui prescris des séances de kinésithérapie pour ses douleurs musculaires et l’envoie en consultation de pathologie professionnelle au CHU, en raison de la persistance de son syndrome anxio-dépressif et pour étayer son dossier clinique.
Le 30 janvier 2017, le médecin de prévention du département constate « l’épuisement » du patient avec « un moral encore tangent ». Il propose un suivi auprès des psychologues de la MGEN [5], une prolongation d’arrêt lui paraît justifiée. Sur le plan de la médiation, le patient est d’accord pour que le médecin de prévention écrive au directeur des ressources humaines « afin qu’il y ait de la bienveillance pour préparer son retour ». En outre, le médecin demande un allègement de son service d’enseignement à douze au lieu de dix-huit heures par semaine, sans baisse de salaire.
Le réseau de soutien collectif se met en place. Le syndicat lui conseille de récolter un maximum de témoignages. Bachir établit un dossier de demande de reconnaissance d’accident de service, le 8 février contenant les témoignages d’une collègue et de l’infirmière scolaire, ainsi qu’un certificat médical.
En mars, Bachir ne pense pas pouvoir reprendre le travail car il présente des reviviscences traumatiques (forte émotion à chaque fois que ses proches ou ses collègues lui parlent de sa situation) avec toujours les mêmes symptômes : ruminations, cauchemars, cervicalgies, douleurs musculaires. Une dyshydrose palmoplantaire apparaît. Il n’a pas d’idées suicidaires. Il vient d’obtenir un congé formation de dix mois à partir de septembre 2017. Je prolonge son arrêt de travail. Le 10 mars, le médecin de prévention du rectorat estime « difficile de déterminer les liens directs et exclusifs avec l’inspection du 13 décembre 2016, de son état anxio-dépressif actuel », mais juge néanmoins « possible que cet événement lui ait provoqué du stress ».

  1. Des avis à charge

Fin avril, le médecin inspecteur régional du travail et de la main-d’œuvre (consultation de pathologie professionnelle et environnementale du CHU) m’écrit : « L’injustice d’être calomnié d’avoir truandé les notes est insupportable chez ce salarié, pour qui l’honnêteté est une valeur fondamentale. Malheureusement, pour avoir suivi des cas similaires, l’éducation nationale, en tant que structure, a tendance à broyer ce type de salariés et couvrir, sans régler les problèmes, les erreurs éventuelles d’appréciation de ses inspecteurs. Compte tenu du traitement différent de ses collègues, on peut aussi légitimement se poser la question d’une discrimination raciale, même s’il me dit refuser d’y croire ». Autocensure pour se protéger ? Ce médecin lui propose de participer à des groupes de parole tous les mois avec des salariés en souffrance. Il ira deux fois, puis se ménagera de ce type de thérapie du fait des reviviscences traumatiques.
En mai, Bachir est convoqué chez le médecin expert nommé par le rectorat, psychiatre au CHU, qui écrit : « Devant l’absence d’éléments pathologiques décrits avant le 13 décembre 2016, d’absence d’événements de vie particuliers, de traitements spécifiques, l’événement du 13 décembre 2016 apparaît être le seul impliqué dans l’apparition des troubles présentés. Dans ces conditions, l’état de santé actuel de M. B. a pour cause certaine, directe et déterminante, un état pathologique directement dû à la visite d’inspection. Les arrêts de travail du 16 janvier 2017 au 31 mai 2017 et les soins prescrits sont à prendre au titre de l’accident à reconnaître. L’état clinique n’étant pas consolidé, une date de consolidation ne peut être fixée. »
En juin, l’inspectrice académique en question est promue doyenne des inspecteurs.

  1. La science comme arme militante

En juillet, je le revois pour des lombalgies aiguës survenues après s’être baissé en ramassant un arrosoir dans son jardin. Il me dit avoir reçu une lettre d’une collègue lui souhaitant « bon rétablissement », mais cela l’a fait craquer, lui renvoyant une image de fragilité. Les heurts sont fréquents avec ses enfants, dont sa fille de dix-huit ans qui lui aurait lancé : « Je te vois tout le temps à la maison ». Elle se serait excusée par la suite. Au mois d’août, sa famille part au Maroc, mais lui reste car il ne veut pas risquer quelque chose avant que l’on ait statué son dossier d’accident du travail et il n’a pas le droit de quitter le département selon lui. Chaque courrier officiel qu’il reçoit le déstabilise. Il me demande de le représenter à la commission de réforme qui doit se prononcer le 14 septembre. J’accepte. Les douleurs musculaires nocturnes et les cauchemars persistent. Je l’oriente vers une psychologue de mon réseau.
Début septembre, on fait le point ensemble, avant la commission de réforme. La rentrée scolaire est mal vécue au sein de la famille : ses enfants vont au lycée, pas lui. Il se montrerait irritable, très émotif, a tendance à perdre du poids. Il a demandé à reporter son congé de formation. Je le rassure et lui promets de mener à bien ma démarche scientifique lors de la commission de réforme. Nous sommes deux amis, militants, confiants l’un envers l’autre.
Le 14 septembre arrive : « On vous attendait Docteur » m’accueille-t-on avec le sourire… « on vous écoute ». Une quinzaine de personnes me fixent du regard. Je parle pendant quelques minutes essayant d’être synthétique, puis « On vous remercie ». Je rétorque : « Vous ne me parlez pas ? ». « Non », hochent-ils de la tête. Je ne saurai rien du débat autour de mon patient, je ressors frustré. À l’entrée, ils ont égaré ma carte d’identité, j’attends une heure, en vain. Une syndicaliste sort : « C’est bon, l’accident de travail est reconnu. »

Partie II : L’autre est un autre « je »

  1. Le recteur droit dans ses bottes

La réponse du recteur à Bachir ne tarde pas à tomber, le 12 octobre : « En l’absence d’élément révélant des conditions anormales dans le déroulement de l’inspection, ou de tout dysfonctionnement dans les conditions d’exercice des fonctions, il n’est pas possible d’imputer votre pathologie au service… Je vous informe que vous sont refusés les arrêts de travail et les soins du 16 janvier au 30 novembre 2017 (prise en charge au titre de la maladie ordinaire et remboursement auprès de votre centre de sécurité sociale). » Feignant d’être beau joueur, ce noble et réglementaire bureaucrate octroie au salarié le droit de « contester cette décision en formant un recours gracieux devant l’auteur de la décision » (lui-même), ou « un recours hiérarchique devant le ministre de l’éducation nationale, ou "un recours contentieux devant le tribunal administratif (TA), dans un délai de deux mois à compter de la présente notification ». Statutairement, le recteur retire à Bachir la moitié de son traitement à partir du 16 avril 2017 (du fait de l’arrêté de placement en Congé longue maladie - CLM au 16 janvier 2017).
En octobre, Bachir ne va pas bien : troubles du sommeil, troubles de la mémoire antérograde et de concentration lors de la lecture, douleurs musculaires. Le dentiste, en raison de douleurs de la mâchoire, lui prévoit une gouttière pour éviter de serrer les dents la nuit. Il évite de passer devant le lycée en voiture, il va reprendre rendez-vous avec la psychologue, avec qui le courant passe bien.

  1. Le rôle précieux du syndicat…

Je téléphone pendant une heure au représentant du SNES [6] qui m’explique les arcanes administratifs des arrêts de travail. Bachir prend rendez-vous avec lui. Le syndicat, comme l’assistante sociale du rectorat, lui conseillent de se mettre rétroactivement en « congé de longue maladie (CLM) », tout en effectuant le « recours gracieux par lettre recommandée avec accusé de réception ». Des lettres type lui sont proposées. Une psychothérapeute et un psychiatre libéral complètent la demande de CLM par deux certificats.
En dépit de la notification du recteur, je prolonge rageusement Bachir en accident du travail. À la demande du SNES, pour que le patient touche son plein traitement et à visée statutaire, j’établis une attestation de « CLM ». Celui-ci dure du 16 janvier 2017 (date du premier certificat médical d’accident du travail) au 15 janvier 2018. Le recours gracieux est rejeté.
En décembre, sur avis du SNES, j’écris une attestation de « congé de longue durée (CLD) » à une fin statutaire, en vue de la fin prochaine du CLM. L’interne, que j’encadre au cabinet médical, écrit : « cauchemars, énurésie exceptionnelle, pleure pendant la consultation, problèmes familiaux : conjugopathie, idées rémanentes, perte de l’élan vital, pas de crise d’angoisse ». Le même mois, sa femme vient déposer les trois cent quinze euros de consultations non payées depuis janvier. J’établis des feuilles de soins et des notes d’honoraires afin que la famille se fasse rembourser par la MGEN. Mais, en cas de victoire de Bachir au TA, ce sera au rectorat de rembourser ce montant à la mutuelle. Le psychiatre libéral, que Bachir consulte depuis, peu l’a mis sous anxiolytique et antidépresseur.
En janvier 2018, je revois Bachir qui me dit appréhender les coups de téléphone ou les courriers du rectorat. Celui-ci lui aurait demandé de rembourser environ dix mille euros de trop-perçus de salaire. L’assistante sociale du rectorat se propose alors de constituer le dossier du CLD et de l’aider à obtenir une aide financière, mais le SNES lui conseille de ne pas aller écouter « l’œil » du rectorat. Il dit aller mieux en famille malgré une période des fêtes compliquée.

  1. ...et des psychiatres

Le 31 janvier, le patient consulte un psychiatre du comité médical de la direction départementale de la cohésion sociale (dépendant de la Préfecture) pour rapport de contre-visite, imposé par le rectorat. Le psychiatre constate chez Bachir un vécu de l’expertise académique, humiliant, un « effondrement narcissique », « sa valeur professionnelle niée et son honnêteté remise en cause », le patient se sentant « rabaissé » et considéré comme un « truand ». Selon le patient, le différend serait venu sur sa façon d’apprécier et de noter car il tient compte dans les contrôles, du travail effectué à la maison par l’élève. Le psychiatre constate que Bachir présente un « syndrome dépressif majeur : effondrement en larmes à chaque rendez-vous, tristesse, ruminations permanentes sur ce qui lui est arrivé, difficultés à exprimer ce qui s’est réellement passé lors de l’inspection académique, sommeil difficile avec cauchemars, amnésies et autres difficultés de mémoire, difficultés à lire, idées noires importantes qu’il essaie de chasser ». Le psychiatre conclut en ces termes : « L’état de santé de Bachir est la conséquence directe de cette inspection assez peccamineuse [7]. On ne peut que lui accorder un CLD et ce pour dix-huit mois. Bachir est déclaré « inapte temporaire. » À l’issue du CLD, le psychiatre propose une « réintégration à temps partiel thérapeutique pendant trois mois ».

  1. Justice « hors les murs »

Le 26 février, Bachir reçoit un courrier du tribunal administratif l’informant que sa requête (un recours en annulation) a été enregistrée. Ce document, avec l’aide juridique du SNES, fait sept pages. Il est très étayé sur le plan juridique. En outre il dénonce le fait que les demandes de CLM et de CLD sont contraintes, le patient jouant sa survie financière. Il y est demandé l’annulation de toutes les décisions du rectorat, considérer comme illégales8.
Le 1er mars, le comité médical de la direction départementale de la cohésion sociale, devant lequel je ne peux me rendre, bien que je sois invité à y représenter le patient, octroie au patient un CLD du 16 janvier au 15 mai 2018.
Fin mars, je revois Bachir. Je prends connaissance de deux décisions du rectorat : 1- « CLM non imputable au service », 2- « Reprise à temps partiel thérapeutique, après le CLD, pour maladie non imputable au service ». Selon le SNES, cette décision n’est pas valable sans avis de la commission de réforme. Pour qu’il obtienne le renouvellement du CLD, j’adresse Bachir à un psychiatre libéral, qui établit un certificat en sa faveur et effectue une prolongation d’arrêt, en maladie professionnelle pour « état dépressif réactionnel ».
Début juillet, le patient consulte à nouveau le psychiatre du comité médical de la direction départementale de la cohésion sociale pour renouvellement du CLD, qui est accordé pour 1 an du 16 mai 2018 au 15 mai 2019, en raison de la même constatation du lien entre l’inspection et la santé de la victime. En septembre, le comité médical départemental émet un avis « favorable » au renouvellement de ce CLD. Le 11, le recteur signe un arrêté de prolongation du CLD « non imputable au service ».
En novembre, Bachir me dit être « bloqué » au niveau de son avancement dans l’échelle des salaires, à cause de l’avis de l’inspectrice académique. Selon un collègue de Bachir, en cette année 2018, suite aux problèmes rencontrés par les professeurs inspectés dans cette matière (mathématiques), aux démissions successives et grâce à la saisie du TA par Bachir, l’inspectrice en question aurait été « placardisée » dans les bureaux du rectorat et donc n’inspecterait plus.

  1. Une violence d’État

La morale de cette histoire est qu’il n’y en a pas. Bachir est victime de discriminations à tous les niveaux de la part de l’administration. Le ministère des affaires étrangères, le premier ministre dénient le droit de Bachir à la « vie privée et familiale ». Le recteur camoufle la violence de ses propres services. Bachir cumule les rendez-vous chez les « psys » alors que sa hiérarchie, au moyen de courriers type formatés, s’auto-exonère de toute responsabilité, par insuffisance d’argumentation et erreur de droit [8] quant aux causes et circonstances de la dégradation de son état de santé. Le recteur piétine l’avis des médecins, y compris de son propre service de médecine préventive, et l’avis de la commission de réforme dont on se demande à quoi elle sert… Il semble ne pas vouloir créer de « précédent ». Mais tout cela a un coût humain et financier considérable… le ministère semble s’en préoccuper comme de sa dernière chemise.
Il y a quelque chose de pourri dans les fondations de l’éducation nationale et de l’État qui sape ses propres valeurs de service public : liberté, égalité, solidarité, coopération, respect des enseignants, accueil de tous sans discriminations. Les humiliations successives et usantes subies par Bachir et sa famille n’ont d’égal que les eaux croupies de la bureaucratie autoritariste dans lesquelles on les laisse, à dessein, mariner… des mois, voire des années. Reste que nous tâchons de résister ensemble à cette violence d’État, debouts, en fraternité.

    1. Affaire à suivre…

par Jacky Brelinge, Pratiques N°85, avril 2019

Documents joints


[1« À l’académie d’Orléans-Tours, la répression syndicale pour les nuls », l’Humanité, lundi 12 novembre 2018.

[2Pierre Bourdieu, La misère du monde, Seuil, 1993.

[3Analyse de l’état clinique du patient à la lumière des critères de décompensation psychopathologique de la DARES (direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), 2010.

[4Direction régionale des finances publiques

[5Mutuellle générale de l’éducation nationale

[6Syndicat national des enseignements de second degré

[7« relatif, enclin au péché » selon le dictionnaire Larousse.

[8Ce recours au TA fait référence à la loi et à la jurisprudence :
-  2° de l’article 34 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État et décision du Conseil d’État du 23 septembre 2013, n° 353093, qui stipulent que « le droit, prévu par ces dispositions, de conserver l’intégralité du traitement est soumis à la condition que la maladie l’intéressé dans l’impossibilité d’accomplir son service soit en lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec un accident survenu dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions ; »
-  « Être victime d’une simple crise d’angoisse sur son lieu de travail, consécutivement à un conflit relationnel avec son supérieur hiérarchique, constitue un accident de service dès lors que celui-ci est survenu à la suite d’une altercation » (TA de Besançon, 6 mai 2011, n° 1001525).


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